Alors qu’on ne trouve dans les Évangiles aucune description de la résurrection de Jésus, bien des tableaux et des images pieuses l’ont montré comme prenant son envol et s’évadant du tombeau. Les récits concernant la résurrection ne rapportent de manières diverses, que des apparitions à ses disciples après sa mort. Ils mettent en relief leur joie mais aussi leurs difficultés de croire que Jésus est vraiment ressuscité.
Lors de rencontres et de conversations avec lui ou entre eux il leur révèle que sa Passion et sa mort accomplissaient ce qu’avait annoncé les Écritures : elles avaient été une défaite de la haine et une victoire de l’amour.
Saint Luc est le seul évangéliste à mentionner que Jésus était apparu personnellement à Simon-Pierre, sans préciser comment et en quelles circonstances. Deux textes nous rapportent ses paroles de témoin de la résurrection de Jésus. Celles qu’il prononçait chez Corneille (Ac 10, 34-43), et celles qu’il proclamait en public au jour de Pentecôte dans les Actes de Apôtres.
Le jour de la Pentecôte, Pierre, debout avec les onze autres Apôtres
éleva la voix et leur fit cette déclaration :
« Vous, Juifs, et vous tous qui résidez à Jérusalem,
sachez bien ceci, prêtez l’oreille à mes paroles.
Il s’agit de Jésus le Nazaréen, homme que Dieu a accrédité auprès de vous
en accomplissant par lui des miracles,
des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes.
Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu,
vous l’avez supprimé en le clouant sur le bois par la main des impies.
Mais Dieu l’a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort,
car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir.
En effet, c’est de lui que parle David dans le psaume :
Je voyais le Seigneur devant moi sans relâche :
il est à ma droite, je suis inébranlable.
C’est pourquoi mon cœur est en fête, et ma langue exulte de joie ;
ma chair elle-même reposera dans l’espérance :
tu ne peux m’abandonner au séjour des morts
ni laisser ton fidèle voir la corruption.
Tu m’as appris des chemins de vie,
tu me rempliras d’allégresse par ta présence.
Frères, il est permis de vous dire avec assurance, au sujet du patriarche David,
qu’il est mort, qu’il a été enseveli,
et que son tombeau est encore aujourd’hui chez nous.
Comme il était prophète, il savait que Dieu lui avait juré
de faire asseoir sur son trône un homme issu de lui.
Il a vu d’avance la résurrection du Christ, dont il a parlé ainsi :
Il n’a pas été abandonné à la mort, et sa chair n’a pas vu la corruption.
Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité ; nous tous, nous en sommes témoins.
Élevé par la droite de Dieu,
il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis,
et il l’a répandu sur nous, ainsi que vous le voyez et l’entendez.
Ac 2, 14.22b-33
Le témoignage de Pierre est comme la charpente de l’acte de foi des chrétiens de la première heure, de l’Eglise naissante. Pierre rappelle le réalisme de l’incarnation, de l’enracinement humain de Jésus le Nazaréen, cet homme qui a vécu et accompli des signes au milieu de tous, un homme de Nazareth, avec ses comportements, ses choix, ses engagements. Il a passé en faisant le bien, en accomplissant des signes, en faisant vivre les autres. Puis il prononce une accusation. Cet homme vous l’avez fait mourir. Vous avez fait mourir quelqu’un qui faisait vivre et n’a passé sa vie qu’à faire le bien. Pierre dénonce la lâcheté de la manœuvre de ceux qui ont supprimé Jésus en confiant aux romains la sale besogne de la crucifixion, considérée comme la pire des infamies : vous l’avez fait mourir comme un révolutionnaire politique, en le faisant clouer à la croix par la main des païens. Enfin, Pierre témoigne de la résurrection de Jésus : la mort ne peut retenir en son pouvoir celui qui faisait vivre au nom de Dieu, celui qui était totalement habité par la puissance de l’amour de Dieu. Dieu l’a ressuscité, l’a reconnu comme son Fils, l’a élevé par sa puissance, en a fait le médiateur de l’Esprit Saint. Lui qui a reçu l’Esprit, il l’a répandu sur ses disciples, lesquels s’engagent eux aussi à vivre, à être comme lui semeurs de fraternité et de vie.
Quel contraste entre l’attitude et le discours de Pierre et son comportement vis-à-vis de Jésus avant sa Passion et sa mort ! Quel retournement chez lui après ses prétentions de dicter à Jésus sa conduite, de se vanter de son infaillibilité avant sa Passion et sa mort ! En ce qui concernait le Messie attendu, ses convictions et celles des autres disciples avant la Résurrection ressemblaient à celles des accusateurs et des assassins de Jésus qu’il dénonce et de la foule à qui il s’adresse et qu’il invite à la conversion. Dans sa première lettre, bien plus tard, il demande aux disciples « bien-aimés » dont il a la charge, de raffermir leur foi et leur espérance en la résurrection de Jésus.
Si vous invoquez comme Père
celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre,
vivez donc dans la crainte de Dieu,
pendant le temps où vous résidez ici-bas en étrangers.
Vous le savez : ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or,
que vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères ;
mais c’est par un sang précieux,
celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ.
Dès avant la fondation du monde, Dieu l’avait désigné d’avance
et il l’a manifesté à la fin des temps à cause de vous.
C’est bien par lui que vous croyez en Dieu,
qui l’a ressuscité d’entre les morts et qui lui a donné la gloire ;
ainsi vous mettez votre foi et votre espérance en Dieu.
1 P 1, 17-21
Dans un long et beau récit de son Evangile, saint Luc raconte l’apparition de Jésus à Cléophas et son compagnon – qui n’est pas nommé –. La scène se passe le troisième jour après la mort de Jésus.
Le même jour, deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs,
à deux heures de marche de Jérusalem,
et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé.
Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient,
Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux.
Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.
Jésus leur dit : « De quoi discutez-vous en marchant ? »
Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes.
Deux disciples quittent Jérusalem, tristes et déçus. Ils parlent ensemble de tout ce qui vient de se passer. C’est au cœur de leur conversation que Jésus s’approche et marche avec eux. Mais ce compagnon de route, ils ne le reconnaissent pas, tellement il est devenu méconnaissable pour eux sur la croix, et pourtant c’est bien lui. Ils sont comme noyés dans leur espérance déçue et lui en parlent, quand il leur demande quelles sont les causes de leur tristesse. L’un des deux, nommé Cléophas, lui répond :
« Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem
qui ignore les événements de ces jours-ci. »
Il leur dit : « Quels événements ? » Ils lui répondirent :
« Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth,
cet homme qui était un prophète puissant par ses actes et ses paroles
devant Dieu et devant tout le peuple :
comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré,
ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié.
Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël.
Mais avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé.
À vrai dire, des femmes de notre groupe nous ont remplis de stupeur.
Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau,
elles n’ont pas trouvé son corps ;
elles sont venues nous dire qu’elles avaient même eu une vision :
des anges, qui disaient qu’il est vivant.
Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau,
et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ;
mais lui, ils ne l’ont pas vu. »
Cléophas et son compagnon réagissent comme Pierre, quand il voulait empêcher Jésus de monter à Jérusalem et quand il brandissait l’épée lors de l’arrestation de son ami avant de le renier. Tous ses amis voulaient sauver Jésus parce qu’ils pensaient qu’il était et serait leur sauveur. Mais voilà déchirée en lambeaux leur espérance de salut, dans tous les sens du mot. C’était pour le salut de la multitude, disait-il, et même pour le salut de ses accusateurs et ennemis, de ses bourreaux. Ils ne comprennent pas son choix et sont profondément choqués par la manière dont il a été condamné et crucifié, au point de déserter leur groupe.
La Parole de Jésus, l’étranger qu’ils ne reconnaissent pas encore, va opérer en leur cœur un retournement décisif, une transformation semblable à une résurrection. Leur compagnon encore inconnu inverse leur conception du salut et du sauveur qu’ils espéraient.
Il leur dit alors : « Esprits sans intelligence !
Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit !
Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? »
Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes,
il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait.
Comme Pierre s’adressant à la foule, Jésus entreprend avec ses amis une relecture des événements à la lumière des Écritures. A son écoute, leurs oreilles, leurs yeux, leurs cœurs s’ouvrent à une logique qui est à l’envers de leurs espoirs. Jésus leur révèle que l’échec apparent de sa crucifixion était le signe d’un amour extrême, que sa non-violence a été bien plus puissante et pleine d’espérance que la lâcheté, la faiblesse haineuse de ceux qui l’ont fait torturer et mourir, au nom d’un Dieu dont ils se sont fait une idole barbare et qu’ils ont emprisonné dans leur pratique religieuse rigide. Par ses blessures, Jésus le crucifié les guérit. Par le don de sa vie en aimant jusqu’au bout, il sauve les hommes – quelles que soient leurs convictions politiques ou religieuses, – de leur inhumanité.
Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient,
Jésus fit semblant d’aller plus loin.
Mais ils s’efforcèrent de le retenir :
« Reste avec nous, car le soir approche et déjà le jour baisse. »
Il entra donc pour rester avec eux.
Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain,
il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna.
Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards.
Ils se dirent l’un à l’autre :
« Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous,
tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? »
À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem.
Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent :
« Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. »
À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route,
et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.
Après l’expérience du cœur brûlant à l’écoute de la Parole, voici sous leurs yeux et dans leurs mains le code de la reconnaissance : le geste du pain rompu. Ce geste est un geste familier de la tradition juive concernant les repas d’alliance, Jésus l’a souvent accompli et particulièrement lors de son dernier repas avant sa mort. En leur disant « ceci est mon corps » son geste de rompre le pain et de le leur donner les a unis à lui et reliés entre eux, fragments d’un même pain de vie qu’il a été pour eux, appelés à partager ensemble son destin et sa mission. C’est à ce geste qu’ils le reconnaissent. Reconnaissance qui suscite en eux une véritable conversion, un retournement, et aussi un retour à Jérusalem pour rejoindre les autres membres de leur communauté. Leur tristesse se mue en joie, leur déception en réveil d’une espérance, leur reniement en courage de reprendre le flambeau lumineux qu’était ce Jésus qu’ils ont accompagné, comme des gens aveuglés et bornés, leur mutisme en parole audacieuse, leur désertion en engagement pour que ne périsse pas sa puissance de vie et d’amour.
Ainsi sommes-nous aussi. Comme ces deux disciples, nous espérons souvent que se réalisent nos projets à nous, nos prévisions, nos attentes, nos rêves, et nous imaginons même comment ils doivent se réaliser. A force de rêver, de prévoir, de programmer nous ne voyons pas que nos espérances se réalisent autrement que ce que nous espérions. Nous emprisonnons l’avenir dans nos programmations, nos formatages. Notre espérance a des œillères. Nous oublions et nous ne croyons pas que ce que nous espérons, Dieu peut l’accomplir de manière imprévisible. Nous attendons le fruit de nos espérances là où il n’est pas en train de mûrir, au lieu d’en semer les graines pour que Dieu les fasse germer et mûrir à sa manière, ailleurs et plus tard.
Des petits et des faibles peuvent sauver des assoiffés de grandeur et de puissance. Des pauvres au cœur blessé peuvent convertir des riches au cœur de pierre. Des doux et des non-violents peuvent désarmer des tyrans aux pieds d’argile. Des crucifiés peuvent apprendre la miséricorde à des religieux qui n’ont à brandir que leur intransigeance.
Evangile selon saint Luc – Lc 24, 13-35