Après le dimanche de l’eau vive et de la Samaritaine en saint Jean, voici celui de la lumière et de l’aveugle de naissance. Devenir disciple de Jésus, recevoir le Baptême en son nom, c’est renaître et devenir fils de la lumière. C’est aussi faire l’apprentissage de la lumière. « Et j’ai vu désormais le monde à ta façon », écrivait Aragon dans un poème d’amour. Il en va de même pour le croyant qui apprend par le Baptême à tout regarder à la façon du Christ. C’est ce que saint Paul rappelle aux chrétiens d’Éphèse.
Frères, autrefois, vous n’étiez que ténèbres ;
maintenant, dans le Seigneur, vous êtes devenus lumière ;
vivez comme des fils de la lumière –
or la lumière produit tout ce qui est bonté, justice et vérité –
et sachez reconnaître ce qui est capable de plaire au Seigneur.
Ne prenez aucune part aux activités des ténèbres,
elles ne produisent rien de bon ; démasquez-les plutôt.
Ep 5 8-14
Saint Jean présente la guérison de l’aveugle de naissance dans un récit sous forme de scénario que l’on peut lire en plusieurs moments. Les protagonistes ont leur point de vue sur les choses, sur le monde, sur la pratique religieuse. Comme la femme de Samarie, ils sont marqués par des préjugés de toutes sortes qui peuvent les empêcher d’accueillir la lumière de la foi, de reconnaître le christ comme la lumière du monde. De même que la Samaritaine avait été capable de changer d’attitude vis-à-vis de Jésus, de manière de voir les choses, de le regarder, de même dans le récit de ce dimanche, seul l’aveugle de naissance va accéder à la lumière de la foi, tandis que les pharisiens qui se croient détenteurs de la lumière, resteront prisonniers de leur aveuglement.
En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance.
Ses disciples l’interrogèrent :
« Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? »
Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents n’ont péché.
Mais c’était pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui.
Il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé, tant qu’il fait jour ;
la nuit vient où personne ne pourra plus y travailler.
Cet aveugle de naissance est puni pour ses péchés ou ceux de ses parents, pensent les disciples. C’est ce qu’on pense couramment en Israël : toute maladie ou infirmité résulte d’un péché, même s’il a été commis par des parents. Jésus refuse cette manière de penser et déclare que selon lui c’est une occasion pour Dieu de manifester sa gloire. Et il leur révèle qu’il est lui-même lumière et salut pour tout homme. On peut faire le lien entre cet aveugle-né et Adam, figure d’une humanité malvoyante dès ses origines que Jésus vient guérir, recréer dans la bonté de ses origines et à laquelle il vient apporter la vraie lumière.
Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. »
Cela dit, il cracha à terre et, avec la salive, il fit de la boue ;
puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle,
et lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » – ce nom se traduit : Envoyé.
L’aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait.
Ses voisins, et ceux qui l’avaient observé auparavant – car il était mendiant –
dirent alors : « N’est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? »
Les uns disaient : « C’est lui. » Les autres disaient :
« Pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble. »
Mais lui disait : « C’est bien moi. »
Les voisins sont prudents, ne se « mouillent » pas et n’aiment pas trop ceux qui sortent de leur place sociale. Impossible pour eux de porter sur cet homme infirme et mendiant de surcroît, un regard nouveau. Il en sera de même pour les pharisiens.
Et on lui demandait : « Alors, comment tes yeux se sont-ils ouverts ? »
Il répondit : « L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue,
il me l’a appliquée sur les yeux et il m’a dit : “Va à Siloé et lave-toi.”
J’y suis donc allé et je me suis lavé ; alors, j’ai vu. »
Ils lui dirent : « Et lui, où est-il ? » Il répondit : « Je ne sais pas. »
On l’amène aux pharisiens, lui, l’ancien aveugle.
Or, c’était un jour de sabbat
que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux.
À leur tour, les pharisiens lui demandaient comment il pouvait voir.
Il leur répondit : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et je vois. »
Parmi les pharisiens, certains disaient :
« Cet homme-là n’est pas de Dieu,
puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. »
D’autres disaient :
« Comment un homme pécheur peut-il accomplir des signes pareils ? »
Ainsi donc ils étaient divisés.
Alors ils s’adressent de nouveau à l’aveugle :
« Et toi, que dis-tu de lui, puisqu’il t’a ouvert les yeux ? »
Il dit : « C’est un prophète. »
Après le regard des voisins emprisonnés dans les pensées habituelles communes, voici celui des pharisiens pour qui tout doit être jugé à partir du respect des règles religieuses. Rompre les coutumiers, désobéir aux règles légales peut exclure celui qui ose ne pas les respecter. Les enfreindre c’est offenser Dieu et remettre en cause les prescriptions établies selon sa Loi. Cet aveugle est un pécheur. Sa guérison est suspecte. Celui qui l’a guéri est suspect : c’est un pécheur public, car il a transgressé la loi du sabbat. Cependant parmi les pharisiens certains n’ont pas l’air d’être de cet avis. Ils sont troublés et mènent l’enquête auprès des parents.
Or, les Juifs ne voulaient pas croire
que cet homme avait été aveugle et que maintenant il pouvait voir.
C’est pourquoi ils convoquèrent ses parents
et leur demandèrent : « Cet homme est bien votre fils,
et vous dites qu’il est né aveugle ? Comment se fait-il qu’à présent il voie ? »
Les parents répondirent :
« Nous savons bien que c’est notre fils, et qu’il est né aveugle.
Mais comment peut-il voir maintenant, nous ne le savons pas ;
et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas non plus. Interrogez-le,
il est assez grand pour s’expliquer. »
Ses parents parlaient ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs.
En effet, ceux-ci s’étaient déjà mis d’accord pour exclure de leurs assemblées
tous ceux qui déclareraient publiquement que Jésus est le Christ.
Voilà pourquoi les parents avaient dit : « Il est assez grand, interrogez-le ! »
Pour la seconde fois, les pharisiens convoquèrent l’homme qui avait été aveugle,
et ils lui dirent : « Rends gloire à Dieu !
Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. »
Il répondit : « Est-ce un pécheur ? Je n’en sais rien.
Mais il y a une chose que je sais : j’étais aveugle, et à présent je vois. »
Ils lui dirent alors : « Comment a-t-il fait pour t’ouvrir les yeux ? »
Il leur répondit : « Je vous l’ai déjà dit, et vous n’avez pas écouté.
Pourquoi voulez-vous m’entendre encore une fois ?
Serait-ce que vous voulez, vous aussi, devenir ses disciples ? »
Ils se mirent à l’injurier : « C’est toi qui es son disciple ;
nous, c’est de Moïse que nous sommes les disciples.
Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ;
mais celui-là, nous ne savons pas d’où il est. »
L’homme leur répondit : « Voilà bien ce qui est étonnant !
Vous ne savez pas d’où il est, et pourtant il m’a ouvert les yeux.
Dieu, nous le savons, n’exauce pas les pécheurs,
mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, il l’exauce.
Jamais encore on n’avait entendu dire
que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance.
Si lui n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. »
Ils répliquèrent : « Tu es tout entier dans le péché depuis ta naissance,
et tu nous fais la leçon ? » Et ils le jetèrent dehors.
Jésus apprit qu’ils l’avaient jeté dehors. Il le retrouva et lui dit :
« Crois-tu au Fils de l’homme ? »
Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? »
Jésus lui dit : « Tu le vois, et c’est lui qui te parle. »
Il dit : « Je crois, Seigneur ! » Et il se prosterna devant lui.
Jésus dit alors : « Je suis venu en ce monde pour rendre un jugement :
que ceux qui ne voient pas puissent voir,
et que ceux qui voient deviennent aveugles. »
Parmi les pharisiens, ceux qui étaient avec lui
entendirent ces paroles et lui dirent : « Serions-nous aveugles, nous aussi ? »
Jésus leur répondit : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ;
mais du moment que vous dites : “Nous voyons !”, votre péché demeure.
Il y a une grande harmonie encore entre les textes de ce dimanche. Pour choisir le successeur de Saül, roi d’Israël, Dieu apprend à Samuel à regarder les personnes avec un autre regard que celui des hommes.
En ce temps-là le Seigneur dit à Samuel :
Je t’envoie auprès de Jessé de Bethléem, car j’ai vu parmi ses fils mon roi. »
Samuel répondit : « Comment faire ? Saül va le savoir, et il me tuera. »
Le Seigneur reprit : « Emmène avec toi une génisse,
et tu diras que tu viens offrir un sacrifice au Seigneur.
Tu convoqueras Jessé au sacrifice ;
je t’indiquerai moi-même ce que tu dois faire
et tu me consacreras par l’onction celui que je te désignerai. »
Samuel fit ce qu’avait dit le Seigneur.
Quand il parvint à Bethléem, les anciens de la ville
allèrent à sa rencontre en tremblant, et demandèrent :
« Est-ce pour la paix que tu viens ? »
Samuel répondit : « Oui, pour la paix.
Je suis venu offrir un sacrifice au Seigneur.
Purifiez-vous, et vous viendrez avec moi au sacrifice. »
Il purifia Jessé et ses fils, et les convoqua au sacrifice.
Lorsqu’ils arrivèrent et que Samuel aperçut Éliab, il se dit :
« Sûrement, c’est lui le messie, lui qui recevra l’onction du Seigneur ! »
Mais le Seigneur dit à Samuel :
« Ne considère pas son apparence ni sa haute taille, car je l’ai écarté.
Dieu ne regarde pas comme les hommes :
les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur. »
Jessé présenta ainsi à Samuel ses sept fils, et Samuel lui dit :
« Le Seigneur n’a choisi aucun de ceux-là. »
Alors Samuel dit à Jessé : « N’as-tu pas d’autres garçons ? »
Jessé répondit :
« Il reste encore le plus jeune, il est en train de garder le troupeau. »
Alors Samuel dit à Jessé : « Envoie-le chercher :
nous ne nous mettrons pas à table tant qu’il ne sera pas arrivé. »
Jessé le fit donc venir : le garçon était roux, il avait de beaux yeux, il était beau.
Le Seigneur dit alors : « Lève-toi, donne-lui l’onction : c’est lui ! »
Samuel prit la corne pleine d’huile,
et lui donna l’onction au milieu de ses frères.
L’Esprit du Seigneur s’empara de David à partir de ce jour-là.
1 S 16, 1b 6-7 10-13a
Apprenons du Christ et de l’aveugle de naissance à devenir modestement lucides sur nous-mêmes, sur le monde, sur les événements, à faire la lumière, car la lumière n’est pas un état ni un privilège ; mais un modeste travail, semblable à celui du Christ lumière du monde. La foi en lui n’est-elle pas en effet le lent et long travail de sa main et de la nôtre, qui lavent nos yeux pour apprendre au jour le jour la lucidité chrétienne ? Retenons aussi la belle phrase que Dieu déclare à Samuel : « Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur. »
Evangile selon saint Jean – Jn9, 1-41