L’Église catholique a renoué avec la tradition de l’Église ancienne concernant le parcours des catéchumènes qui se préparent à recevoir le baptême au cours de la veillée pascale. Ce dimanche inaugure une série de trois, correspondant aux trois « scrutins » qui précèdent l’entrée dans la Semaine Sainte. Avant leur baptême, les catéchumènes adultes sont invités à « scruter » (accomplir un discernement sur) leurs intentions profondes, à être au clair sur ce qu’ils attendent et cherchent en demandant le baptême, à bien en saisir le sens et la portée, à bien connaître le Christ, source de vie et don de Dieu. Ils sont invités à s’adresser à Dieu en reprenant la prière du Psaume 138. « Scrute-moi, mon Dieu, tu sauras ma pensée ; éprouve-moi, tu connaîtras mon cœur. Vois si je prends le chemin des idoles, et conduis-moi sur le chemin d’éternité. »
Ces scrutins concernent aussi tous les baptisés à chaque temps du carême. Quelle image se font-ils de Dieu, du Christ ? Saint Jean les invite à le reconnaître comme le chemin, la vérité, la vie. Avec la Samaritaine, comme la source d’eau vive pour tout être humain de bonne volonté. Avec l’aveugle-né, comme la source de vie éternelle pour ceux qui croient en lui. Avec Lazare, comme le vainqueur de
la mort. Les trois récits de ces dimanches présentent la foi comme trois rencontres avec le Christ qu’ont vécues une femme étrangère et pécheresse, un aveugle de naissance, un ami qui meurt et ses proches. Le récit de la rencontre entre Jésus et la femme de Samarie est très long et comporte plusieurs épisodes. Contentons-nous de deux passages. D’abord le moment de la rencontre entre Jésus et la Samaritaine.
Jésus arrive donc à une ville de Samarie, appelée Sykar,
près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph.
Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route,
s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi.
Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau.
Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. »
— En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter des provisions.
La Samaritaine lui dit :
« Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? »
— En effet, les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains.
Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu
et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”,
c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. »
Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond.
D’où as-tu donc cette eau vive ?
Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits,
et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? »
Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ;
mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ;
et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui
une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. »
La femme lui dit : « Seigneur, donne-moi de cette eau,
que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. »
Trois choses séparent Jésus et cette femme : le pays, la religion, le sexe. Pour les Juifs, les Samaritains sont infréquentables, parce qu’hérétiques, idolâtres depuis des siècles. A leur retour les disciples seront surpris de le voir parler à une femme et de plus une Samaritaine. Cette femme est en quelque sorte la personnalisation de la Samarie paganisée, vilipendée par les prophètes. Il est possible que les cinq maris – plus un – symbolisent les cinq divinités auxquelles les Samaritains rendaient un culte, ainsi que l’instabilité et le vagabondage de ces israélites des royaumes du Nord qui avaient trahi l’Alliance avec Yahvé, le Dieu unique.
Pourtant c’est à cette femme que Jésus demande à boire, lui qui représente la fidélité à la Loi et à l’Alliance. Inversion totale des rôles, qui n’est pas sans rappeler certains textes du Concile Vatican 2 exprimant ce que l’Église catholique apporte au monde mais aussi ce qu’elle reçoit de lui (GS n° 44). « L’Église n’ignore pas tout ce qu’elle a reçu de l’histoire et de l’évolution du genre humain et à la compréhension de tous et aux exigences des sages ». N’a-t-elle pas à demander à boire elle aussi en bien des domaines au monde de ce temps, et à prendre en lui une position de service et d’accompagnement comme le Christ ? Mais comme lui, sa mission est de questionner chacun au nom de l’Évangile : à quels puits va-t-il puiser de l’eau pour donner du sens à sa vie, à son présent et à son avenir ? À des puits de science, de technique, de richesse, qui ne sont peut-être que des puits d’eaux mortes ou des citernes vides ? Un questionnement adressé aussi à chacun en ce temps de Carême : qu’as-tu à offrir à boire au Dieu mendiant qui a soif de ton eau, et s’assoit fatigué, sur les margelles de ton cœur ?
Jésus transgresse les trois barrières qui le séparent de cette femme et se présente à elle comme demandeur d’un peu d’eau. Étonnement de sa part : toi qui es juif, lui dit-elle, tu me fais une demande ! Le dialogue change de ton dans le récit. Jésus lui révèle qu’il est plus grand que Jacob qui avait creusé ce puits : il est la source d’une eau vive, il est le don de Dieu.
L’image du puits est importante pour comprendre le sens du texte. Pour les Sémites, le puits est un lieu symbolique, un lieu de vie en terre désertique. Et pour les Hébreux, le puits, c’est la Tora, – le don de Dieu par excellence – à laquelle le croyant puise la sagesse et la connaissance de Dieu pour une vie heureuse de justice et de paix. Jésus révèle à cette femme que désormais, il est en personne le puits qui donne l’eau vive et apaise toute soif humaine. Non seulement, il est le puits, mais aussi la source d’eau vive qui alimente le puits. Plus tard, il ira bien plus loin encore : il parlera de son corps, de son sang, de sa parole comme sources de vie éternelle pour qui les mange et s’y abreuve.
Jésus conduit cette femme et nous conduit avec elle à mieux le connaître. Elle a devant elle le don de Dieu en sa personne, le puits et la source, et il lui dit cette parole révélatrice du grand mystère de la foi chrétienne : l’eau que je donnerai deviendra en celui qui la boit, source jaillissante pour la vie éternelle. A la source extérieure qu’est le Christ se substitue une source intérieure en celui qui croit en lui. A la source de vérité extérieure qu’était la Loi ancienne se substitue désormais une Loi nouvelle, intérieure, en celui qui accueille la parole du Christ, lumière du monde et vérité de Dieu et boit à la source d’une vie éternelle. Aux cultes extérieurs que l’on rend dans les hauts-lieux et les temples se substitue le culte intérieur rendu au Père en esprit et en vérité.
La femme dit alors à Jésus : « Seigneur, je vois que tu es un prophète !…
Eh bien ! Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là,
et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. »
Jésus lui dit : « Femme, crois-moi :
l’heure vient où vous n’irez plus
ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père.
Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ;
nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs.
Mais l’heure vient – et c’est maintenant –
où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité :
tels sont les adorateurs que recherche le Père.
Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent,
c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. »
La femme lui dit : « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ.
Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses. »
Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle. »
Après sa profession de foi, cette femme de mauvaise vie est transformée. Alors qu’elle était pécheresse Jésus lui a parlé avec confiance et respect. Mais elle ne garde pas pour elle la grâce qu’elle a reçue. Elle raconte à son entourage ce qu’elle vient de vivre et témoigne du don qu’elle a reçu. Il en va de même pour les personnes qui reçoivent le baptême. Ils sont invités à devenir témoins, à faire connaître Jésus et à tout regarder avec un nouveau regard.
Beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus,
à cause de la parole de la femme qui rendait ce témoignage :
« Il m’a dit tout ce que j’ai fait. »
Lorsqu’ils arrivèrent auprès de lui, ils l’invitèrent à demeurer chez eux.
Il y demeura deux jours.
Ils furent encore beaucoup plus nombreux à croire à cause de sa parole à lui,
et ils disaient à la femme :
« Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons :
nous-mêmes, nous l’avons entendu,
et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. »
Jn 4 5-42
Au peuple d’Israël, Jacob avait donné un puits. Pour calmer la soif du peuple traversant le désert, Moïse avait frappé le rocher du mont Horeb sur lequel Dieu se tenait, et il en était sorti de l’eau sous les yeux des anciens d’Israël. Désormais c’est du cœur du Christ en croix que couleront des fleuves d’eau vive. (Jn 7, 38).
Les fils d’Israël campaient dans le désert à Réphidim.
Là, le peuple souffrit de la soif. Il récrimina contre Moïse et dit :
« Pourquoi nous as-tu fait monter d’Égypte ?
Était-ce pour nous faire mourir de soif avec nos fils et nos troupeaux ? »
Moïse cria vers le Seigneur : « Que vais-je faire de ce peuple ?
Encore un peu, et ils me lapideront ! »
Le Seigneur dit à Moïse : « Passe devant le peuple,
emmène avec toi plusieurs des anciens d’Israël,
prends en main le bâton avec lequel tu as frappé le Nil, et va !
Moi, je serai là, devant toi, sur le rocher du mont Horeb.
Tu frapperas le rocher, il en sortira de l’eau, et le peuple boira ! »
Et Moïse fit ainsi sous les yeux des anciens d’Israël.
Il donna à ce lieu le nom de Massa (c’est-à-dire : Épreuve)
et Mériba (c’est-à-dire : Querelle),
parce que les fils d’Israël avaient cherché querelle au Seigneur,
et parce qu’ils l’avaient mis à l’épreuve, en disant :
« Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non ? »
Ex 17 3-7
Saint Paul explique longuement aux Romains ce que représente la nouveauté du Christ. Désormais ce n’est plus au puits de la Loi qu’il faut puiser, mais au puits de la grâce donnée par le Christ, lui le don de Dieu, lui notre source spirituelle de vie. Comme la femme de Samarie nous étions pécheurs. Comme elle nous accédons à la grâce et nous sommes sauvés par la foi au Christ qui est mort pour nous.
Frères, nous qui sommes donc devenus justes par la foi,
nous voici en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ,
lui qui nous a donné, par la foi, l’accès à cette grâce dans laquelle nous sommes établis ;
et nous mettons notre fierté dans l’espérance d’avoir part à la gloire de Dieu.
et l’espérance ne déçoit pas,
puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs
par l’Esprit Saint qui nous a été donné.
Alors que nous n’étions encore capables de rien,
le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les impies que nous étions.
Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ;
peut-être quelqu’un s’exposerait-il à mourir pour un homme de bien.
Or, la preuve que Dieu nous aime,
c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs.
Rm 5 1-2.5-8
Evangile selon saint Jean – Jn4, 5-42