Jl 2, 12-18 ; Ps 50 ; 2 Co 5, 20-6, 2 ; Mt 6, 1-6. 16-18
Homélie retranscrite à partir d’un enregistrement
Frères et sœurs,
Avez-vous déjà en tête les efforts de Carême que vous avez l’intention de faire ?
Si je vous pose la question, c’est que nous avons souvent en tête que le Carême est synonyme d’efforts et de privations ! Mais, il faut faire très attention et ne pas perdre de vue l’objectif, pour que les moyens (c’est-à-dire les efforts de Carême) soient vraiment au service de cet objectif !
Et cet objectif, quel est-il ? C’est bien de raviver en nous notre qualité de disciple du Christ, et même de disciple-missionnaire, c’est-à-dire de ceux qui ont un beau témoignage à donner dans la situation qui est la nôtre actuellement. Témoignage de notre foi, de notre espérance et bien sûr de notre charité.
Être disciple, c’est bien remettre le Christ au centre de notre vie, c’est faire grandir en nous les deux premiers commandements : « Tu aimeras Dieu, de tout ton cœur, de toute ta force et de tout ton esprit. » et « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Et, comme nous l’a rappelé le prophète Joël dans la première lecture, « Revenez au Seigneur notre Dieu. », ou encore saint Paul dans la deuxième lecture : « Au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu. » Voilà notre objectif ! Et, c’est en l’ayant bien en tête que nous pouvons choisir les moyens, c’est-à-dire nos efforts de Carême. Autrement dit, tout ce qui peut nous aider à vivre les conversions nécessaires.
Le Carême n’est certes pas un temps festif, mais ce n’est pour autant pas un temps liturgique triste. C’est un temps de vérité sur nous-mêmes, et un temps de lutte contre tout ce qui, dans notre vie, va à l’encontre de l’amour de Dieu et des autres. C’est également un temps de joie puisque c’est l’accueil de la grâce de Dieu, comme saint Charles de FOUCAULD l’exprime dans sa belle méditation : « Il faut passer par le désert et y séjourner pour recevoir la grâce de Dieu : c’est là qu’on se vide, qu’on chasse de soi tout ce qui n’est pas Dieu et qu’on vide complètement cette petite maison de notre âme pour laisser toute la place à Dieu seul. » Le désert n’est pas forcément géographique. Nous pourrions remplacer le mot « désert » par le mot « silence » ou encore « sobriété ». Nous pouvons ainsi passer par le désert dans tel ou tel moment de notre journée !
Alors, quels moyens pourrions-nous nous donner ? Quels « efforts de Carême » ?
Il y en a qui sont personnels, que nous gardons dans le secret de notre âme, comme nous le conseille Jésus. Des efforts qui concernent notre relation personnelle avec le Seigneur et avec notre prochain…
Il y a aussi des moyens communautaires que nous pouvons vivre avec d’autres chrétiens, comme nous le faisons en célébrant ensemble en ce jour pour l’entrée en Carême. Les paroisses en proposent, mais nous pouvons également prendre des initiatives comme se donner rendez-vous pour prier ensemble, en famille, avec d’autres personnes…
Dans l’Évangile, Jésus nous rappelle trois moyens traditionnels qui restent d’actualité : l’aumône, la prière et le jeûne. Remarquez que Jésus met l’aumône en premier, autrement dit l’amour du prochain avant toute chose ! « Si quelqu’un dit : “J’aime Dieu”, alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. », nous dit saint Jean (1 Jn 4, 20).
Nous vivons dans une société qui promeut des revendications individualistes. Ce sont des sociologues qui le disent, mais nous le constatons par nous-mêmes ! Et nous pouvons être nous-mêmes complices, sans en être conscients, de cette tendance à l’individualisme. Derrière le geste de l’aumône, nous pouvons voir l’effort pour sortir de l’égoïsme, du repli sur soi, pour être plus attentifs aux autres, et avoir davantage de compassion, davantage de partage, y compris financièrement. Avoir le souci du bien commun avant notre intérêt personnel. Et cela, autant dans notre famille que dans notre travail ou dans notre vie en société. Développer aussi le pardon, notamment en famille… avoir l’humilité de savoir demander pardon, mais également de l’accueillir. Pour nous y aider, il y a le sacrement de pénitence et de réconciliation qui est d’ailleurs offert régulièrement dans cette paroisse !
Le second moyen, nous dit Jésus, c’est la prière ! La prière nous met en intimité avec le Seigneur et nous fait grandir dans la foi et l’espérance. « Ton Père voit ce que tu fais en secret. Il te le revaudra. » Pour ne pas prier, nous disons ou pensons souvent que nous n’avons pas le temps… mais, frères et sœurs, combien de temps passons-nous sur nos écrans de télévision, d’ordinateur ou de téléphone portable ? J’évoquais plus haut l’importance de prier avec d’autres. Je pense aussi à la méditation de la Parole de Dieu. Nous sommes envahis par toutes sortes d’informations (vraies ou fausses !) souvent biaisées par des idéologies qui traversent notre vie en société ! Or, Dieu nous parle à travers les Écritures et Il nous guide vers la vérité tout entière. Le Seigneur nous aide à discerner ce qui plus important, ce qui est essentiel, pour ne pas perdre les pédales !
Enfin, le dernier moyen cité par Jésus, je les ai pris dans l’ordre, c’est le jeûne. L’Église propose des jours de jeûne et d’abstinence. Aujourd’hui, Mercredi des Cendres ainsi que le Vendredi Saint sont des jours d’abstinence et de jeûne ; tous les vendredis du temps de Carême sont des jours d’abstinence. Le canon 1252 du Droit de l’Église stipule : « sont tenus par la loi de l’abstinence, les fidèles qui ont 14 ans révolus, mais sont liés par la loi du jeûne tous les fidèles majeurs jusqu’à la soixantième année commencée ». Beaucoup d’entre nous ici, qui ont plus de 60 ans, n’auraient donc pas à jeûner pendant le Carême ! Cela montre bien que, pour l’Église, le jeûne ne doit pas mettre notre santé en danger. Il n’a pas non plus pour but de nous faire maigrir ou de nous faire faire une cure de jouvence (même si cela peut être bon pour notre santé tant physique que mentale !). Le jeûne est important pour nous rapprocher de Dieu et des autres. Le jeûne peut s’élargir aussi à ce qui n’est pas de la nourriture, et là, cela concerne tout le monde, tous âges confondus ! Dans le contexte de guerre, et son lot de restrictions, auquel j’ajoute aussi le défi de la lutte contre la pollution et le réchauffement climatique, le jeûne peut aussi se porter sur d’autres efforts comme les économies d’énergies, ou encore sur la consommation, autrement dit tendre à une vie plus sobre, moins onéreuse. Ces efforts nous rapprochent de Dieu qui veut que toute sa création soit une merveille à protéger et à partager et ils nous rapprochent aussi de tous ceux qui souffrent sur notre planète, notre « Maison commune ».
Frères et sœurs, nous avons beaucoup de grâces à recevoir du Seigneur durant ce Carême, et la force aussi de lutter contre l’esprit du mal, car c’est bien ce que Jésus a vécu dans ses jours au désert : la lutte contre l’esprit du mal pour en sortir vainqueur ! Notre Père voit ce que nous faisons en secret, il nous le revaudra. Amen.
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon