Lv 19, 1-2.17-18 ; Ps 102 ; 1 Co 3, 16-23 ; Mt 5, 38-48
Homélie retranscrite à partir d’un enregistrement
Frères et sœurs,
Un confrère me disait, avec un peu d’humour, « Quand on a dépassé les bornes, il n’y a plus de limites ! ». Dans la société, c’est déjà vrai dans de nombreux domaines : dans la bioéthique, dans la politique… Mais moi, je pensais à cette phrase de l’Évangile que nous venons d’entendre Lorsque je parle de « borne », cela peut concerner la loi du Talion à laquelle Jésus fait allusion : « vous avez appris qu’il a été dit… mais moi je vous dis… » Cette loi, qui se voulait humainement juste, mais qui mettait des limites à l’amour. C’est justement le « humainement » que Jésus nous invite à dépasser. De fait, se laisser frapper et dépouiller sans rien dire, ce n’est pas humain ! Aimer ses ennemis, ce n’est pas humain. Les bornes que Jésus nous invite à dépasser, ce sont les limites que nous pouvons mettre à notre amour du prochain, et quelquefois même au nom de la justice humaine. Jésus nous dit : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains, (…) les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? ». Ainsi, le commun des mortels, qui n’a pas expérimenté l’amour de Dieu a pourtant déjà de l’amour pour son prochain !
Jésus nous appelle à aimer au-delà des bornes ! De fait, cet amour-là, sans limites, est un amour divin, pas humain ! Et pourtant, c’est un commandement du Seigneur : « Vous donc vous serez parfaits, comme votre Père céleste est parfait ». Cette perfection est un amour sans limites ! Oui, mais… nous sommes humains, pas divins, allez-vous me dire ! Cet amour-là, n’est-il pas au-dessus de nos capacités humaines ? Si Jésus nous appelle à cela, c’est que ce n’est pas impossible, pas inaccessible ! Nous aussi nous pouvons aimer sans limites, mais, il est vrai, non pas avec nos forces et nos mentalités humaines ! Pas avec notre conception tout humaine de la justice ! Alors, comment y parvenir ? Comment répondre à cet appel, ce commandement de Jésus ?
Jésus nous montre le chemin : par la prière ! « Priez pour ceux qui vous persécutent ». La prière ne va pas forcément changer le cœur de nos adversaires, par contre, notre cœur, lui, va en être changé, afin que l’Esprit saint nous inspire l’attitude divine qui convient selon l’amour de Dieu, car les pensées de Dieu ne sont pas celles des hommes.
Vous allez peut-être m’objecter qu’avec cette attitude « divine », nous risquons peut-être d’être dépouillés, écrasés.
Certes, et Jésus l’a été en mourant sur la croix, mais la puissance de l’amour de Dieu est plus forte que le mal et même que la mort. Ainsi que nous le dit saint Paul : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire : en agissant ainsi, tu entasseras sur sa tête des charbons ardents. » (Rm 12, 20-21) Autrement dit, ton amour, même s’il est à sens unique, ne laissera pas ton ennemi tranquille. Cela l’obligera à réfléchir et peut-être à changer d’attitude ! Saint Paul ajoute dans le même texte : « Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien. »
Vous allez me dire que ce n’est pas réaliste par rapport à la dureté de notre monde actuel. Moi, je vous répondrai comme saint Paul dans la deuxième lecture : « Si quelqu’un parmi vous pense être sage à la manière d’ici-bas qu’il devienne fou pour devenir sage ». Fou, à la manière de Dieu évidemment ! Cela dit, tout n’est pas si simple car Jésus nous demande aussi dans les Béatitudes d’être artisans de justice (car il ne supporte pas l’injustice). La Doctrine sociale de l’Église considère d’ailleurs la légitime défense comme un droit, et même un devoir, si c’est pour protéger autrui (CEC n°2265). En revanche, « si pour se défendre on exerce une violence plus grande qu’il ne faut, ce sera illicite » (CEC n°2264). Nous devons donc accueillir cet appel de Jésus à favoriser dans nos conflits, non pas un cercle vicieux qui conduit à l’injustice et à une violence plus grande encore, mais un cercle vertueux qui permet de briser l’escalade de la violence et promeut le bien commun.
Alors, frères et sœurs, chacun de nous peut s’interroge pour savoir qui est notre ennemi en ce moment, ou simplement ceux que nous n’aimons pas ou qui ne nous aiment pas, collectivement ou personnellement. Nous arrive-t-il de prier pour ces personnes ? C’est la première attitude à avoir nous dit Jésus. Au fond, prier pour quelqu’un, c’est déjà l’aimer ! Fut-il notre ennemi ! N’oublions surtout pas que nous aussi pouvons être un ennemi, ou du moins quelqu’un qui fait du mal à d’autres. Alors, dépassons les bornes que nous pouvons mettre à note amour du prochain, et laissons-nous conduire par l’Esprit saint vers un amour parfait, c’est-à-dire sans limite ; un amour qui peut paraître vulnérable, mais qui, en fait, change le monde comme le levain dans la pâte ! Amen.
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon