La fête de Noël est toute proche. Notre attente se fait plus pressante, comme celle de Marie et de Joseph, comme celle des mamans et des papas quand s’approche cet événement prodigieux qu’est le fait de donner naissance à un être nouveau qui a été « façonné dans le secret » (ps 138). Une fois encore la liturgie oriente notre attente vers la longue et secrète venue de Dieu qui se présente comme une obscure et patiente germination. Quand Dieu prépare du neuf, les signes ne sont à chercher ni au fond des vallées, ni au sommet des montagnes, ni sur des sites Internet ! Ce sont des signes discrets. La liturgie nous parle de deux femmes enceintes, et de deux naissances qui s’annoncent. L’une se passe bien avant Jésus et l’autre le concerne. Achaz, roi de Judée au VIIIe siècle avant J-C, voit son royaume menacé par l’Assyrie, et de plus n’ayant pas de descendance, le risque est grand de voir s’interrompre la dynastie du roi David.
Le Seigneur envoya le prophète Isaïe dire au roi Achaz :
« Demande pour toi un signe venant du Seigneur ton Dieu,
demande-le au fond des vallées, ou bien en haut sur les sommets. »
Achaz répondit : « Non, je n’en demanderai pas,
je ne mettrai pas le Seigneur à l’épreuve.
Quand on connaît le règne plutôt trouble d’Achaz et le peu de cas qu’il faisait de la Loi, on peut se demander si sa protestation est vraiment sincère. En effet, demander un signe au Seigneur, n’est-ce pas être prêt à accueillir ce qu’il sera ? Comment demander à Dieu de manifester sa fidélité sans ensuite y être fidèle soi-même ? La réponse d’Achaz est plutôt une échappatoire et manifeste une fausse humilité. Mais la lâcheté d’un roi ne saurait remettre en cause le projet de Dieu. Fidèle à son peuple et à ses promesses, il donne le signe, un signe qui touche Achaz personnellement mais qui concerne aussi tout le peuple. Le signe sera celui d’une naissance inattendue annonciatrice d’une plus grande encore, bien plus tard, celle d’un Messie, fils de David.
Isaïe dit alors : Écoutez, maison de David !
Il ne vous suffit donc pas de fatiguer les hommes :
il faut encore que vous fatiguiez mon Dieu !
Eh bien ! Le Seigneur lui-même vous donnera un signe :
Voici que la jeune femme est enceinte, elle enfantera un fils,
et on l’appellera Emmanuel (c’est-à-dire : Dieu-avec-nous).
De crème et de miel il se nourrira, et il saura rejeter le mal et choisir le bien.
Avant même que cet enfant sache rejeter le mal et choisir le bien,
la terre dont les deux rois te font trembler sera laissée à l’abandon. »
Is 7, 10-16
Ce passage a été choisi ce dimanche, pour affirmer, – en saint Matthieu – l’intégration de Jésus dans la lignée de David et ainsi attester du lien entre les deux Testaments. Elle est explicitée par la mention qu’en fait l’évangéliste dans son récit de l’annonciation à Joseph (et non à Marie comme l’a écrit saint Luc). Dans ce fils de roi, le nom d’Emmanuel annonce la venue de Dieu en son propre Fils qui naîtra bien plus tard, et délivrera l’humanité du mal et de la mort.
Voici comment fut engendré Jésus Christ :
Marie, sa mère, avait été accordée en mariage à Joseph ;
avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint.
Joseph, son époux, qui était un homme juste,
et ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la renvoyer en secret.
Comme il avait formé ce projet,
voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit :
« Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse,
puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ;
elle enfantera un fils,
et tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve),
car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
Tout cela est arrivé pour que soit accomplie
la parole du Seigneur prononcée par le prophète :
Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils ;
on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : « Dieu-avec-nous »
Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit :
il prit chez lui son épouse,
mais il ne s’unit pas à elle, jusqu’à ce qu’elle enfante un fils,
auquel il donna le nom de Jésus.
Mt 1, 18-24
Dans nos sociétés modernes s’est effacée la portée symbolique des noms ou des prénoms. Fini le temps de les inscrire dans des lignées. Dans la Bible, le nom donné à quelqu’un à sa naissance, ou le nom nouveau attribué plus tard, – comme à Simon que Jésus appellera Pierre –, exprime son rôle, sa vocation, le mystère de la personne et l’inscrit dans une histoire. Deux noms et deux missions pour le Fils de David. D’abord Jésus, un nom qui ressemble à celui de Joseph, le sauveur de l’Egypte, le sauveur de son peuple, de ses frères pécheurs et meurtriers. Jésus, le même nom que « Josué » qui a fait traverser le Jourdain au peuple d’Israël et l’a introduit en terre promise. Puis « Emmanuel » emprunté à Isaïe. En Jésus sera manifestée comme réalisée en sa personne, la présence de Dieu-avec-nous, au milieu de nous, et l’appeler Jésus « le Seigneur sauve », c’est reconnaître qu’il vient demeurer avec nous comme sauveur. Dieu s’est fait homme et fait sa demeure parmi les humains. Il vient au cœur de leur histoire avec ses bonheurs et ses malheurs. Il vient pour demeurer avec eux, dans l’actualité de leur histoire. Mais à quels signes reconnaître sa présence active ? « Dieu avec nous » est une expression qu’ont proclamée et proclament encore certaines religions et nations pour justifier des causes politiques dominatrices ou guerrières conduisant au pire.
En Jésus, Dieu se manifeste avec nous comme sauveur mais pas comme un chef de guerre. C’est en humble serviteur qu’il vient sauver les hommes de toute haine, de toute discrimination raciale ou religieuse, de tout péché. Il est avec eux pour les sauver d’eux-mêmes, de leurs aveuglements lorsqu’ils prétendent posséder la pleine lumière, de leurs erreurs lorsqu’ils prétendent détenir la vérité dernière sur toutes choses. Il est avec eux pour les sauver des puissances du mal qui poussent à la haine et au meurtre, allant jusqu’à attribuer à des guerres en son nom le qualificatif de « saintes ». Un souhait pour ce temps de Noël : Que le Dieu et Père de Jésus soit avec nous, mais avant tout et par-dessus tout, que nous soyons avec lui. Et prenant exemple sur la manière dont il s’est manifesté avec nous, parmi nous, depuis sa naissance jusqu’à sa mort, soyons gens de justice et de paix, de douceur et de pardon.
La liturgie de ce dimanche nous propose un texte important de saint Paul. Son langage est le même que celui de Matthieu. Dans le prologue de sa lettre aux Romains, ce qu’il dit ressemble à son Credo et à sa mission d’apôtre. Un Credo de Noël en quelque sorte aussi.
Moi Paul, serviteur de Jésus Christ, appelé par Dieu pour être Apôtre,
mis à part pour annoncer la Bonne Nouvelle
que Dieu avait déjà promise par ses prophètes dans les saintes Écritures,
je m’adresse à vous, bien-aimés de Dieu qui êtes à Rome.
Cette Bonne Nouvelle concerne son Fils :
selon la chair, il est né de la race de David ;
selon l’Esprit qui sanctifie, il a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu
par sa résurrection d’entre les morts, lui, Jésus Christ, notre Seigneur.
Pour que son nom soit reconnu,
nous avons reçu par lui grâce et mission d’Apôtre,
afin d’amener à l’obéissance de la foi toutes les nations païennes,
dont vous faites partie, vous aussi que Jésus Christ a appelés.
À vous qui êtes appelés à être saints,
la grâce et la paix de la part de Dieu notre Père
et du Seigneur Jésus Christ.
Ro 1, 1-7
Paul ne dit rien de ses propres origines, de son enfance, de sa vie d’avant la rencontre du Christ. Comme si sa vraie vie, sa naissance à lui commençait avec l’appel reçu de Dieu à être apôtre, serviteur du Christ. Il passe vite du « je » au « nous ». Quand il parle du Christ, il évoque sa naissance selon son humanité charnelle, dans la lignée de David, déjà promise par ses prophètes dans les saintes Écritures, et de sa renaissance, de sa résurrection d’entre les morts par laquelle il a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu selon l’Esprit qui sanctifie. Pour nous souhaiter de joyeuses fêtes de la Nativité j’emprunte la salutation qui conclut son Credo.
Vous les fidèles qui êtes, par appel de Dieu, le peuple saint,
que la grâce et la paix soient avec vous tous, de la part de Dieu notre Père
et de Jésus Christ le Seigneur.
Saint Syméon (1024), surnommé le “Théologien” à l’instar de Jean l’évangéliste, fut moine et abbé à Constantinople. Il nous a laissé une belle prière, pour nous préparer à la venue de l’Emmanuel.
« Viens donc, ô Maître, aujourd’hui dresse en moi ta tente (cf. Jn 1, 14) ;
fais ta maison et demeure continuellement, inséparablement,
jusqu’au bout, en moi.
Garde-moi à l’intérieur, debout pour toujours, inébranlable,
dans ta demeure en moi :
qu’en te voyant perpétuellement, moi, le mort, je vive (cf. Lc 15,25) ;
qu’en te possédant, moi le pauvre,
je sois toujours riche, et riche par-dessus tous les rois ;
qu’en te mangeant et te buvant, en me vêtant à chaque instant de toi,
j’aille de délices en délices en d’inexprimables biens,
car c’est toi qui es tout bien. »
Mt 1, 18-24
Evangile selon saint Matthieu Mt 1, 18-24