Des textes foisonnants d’images pour ce deuxième dimanche de l’Avent. Ils parlent de l’avènement d’un Roi juste, d’un Messie qui vient pour un jugement et pour faire advenir des temps nouveaux. Ses portraits dressés par le prophète Isaïe, le psaume 71, et Jean le Baptiste, se rejoignent sur bien des points. Tout d’abord celui d’Isaïe.
Un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David,
un rejeton jaillira de ses racines.
Sur lui reposera l’esprit du Seigneur :
esprit de sagesse et de discernement,
esprit de conseil et de force,
esprit de connaissance et de crainte du Seigneur
– qui lui inspirera la crainte du Seigneur.
Il ne jugera pas sur l’apparence ; il ne se prononcera pas sur des rumeurs.
Il jugera les petits avec justice ;
avec droiture, il se prononcera en faveur des humbles du pays.
Du bâton de sa parole, il frappera le pays ;
du souffle de ses lèvres, il fera mourir le méchant.
La justice est la ceinture de ses hanches ;
la fidélité est la ceinture de ses reins.
Comme Isaïe, le psaume 71 exprime ce que doivent être les fondements du projet politique d’un homme intronisé comme roi. Beau programme pour les gouvernants et responsables !
Qu’il gouverne ton peuple avec justice,
qu’il fasse droit au malheureux.
Il délivrera le pauvre qui appelle
et le malheureux sans recours.
Il aura souci du faible et du pauvre,
du pauvre dont il sauve la vie.
Saint Matthieu parle de la voix de Jean le Baptiste qui retentit dans le désert. Celui-ci invite le peuple d’Israël à préparer la route pour celui qui vient. Il l’appelle à la conversion et proclame que le Royaume des cieux est proche. Jean s’adresse d’abord à la foule qui vient à lui.
En ces jours-là, paraît Jean le Baptiste, qui proclame dans le désert de Judée :
« Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. »
Jean est celui que désignait la parole prononcée par le prophète Isaïe :
Voix de celui qui crie dans le désert :
Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.
Lui, Jean, portait un vêtement de poils de chameau,
et une ceinture de cuir autour des reins ;
il avait pour nourriture des sauterelles et du miel sauvage.
Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain
se rendaient auprès de lui,
et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain en reconnaissant leurs péchés.
Dans le récit de saint Matthieu, Jésus s’adresse ensuite aux responsables religieux venus sans doute de Jérusalem, pour le baptême de conversion, mais Jean leur reproche de ne guère préparer la venue du Messie tel que le présentent Isaïe et le psalmiste !
Voyant beaucoup de pharisiens et de sadducéens se présenter à son baptême,
il leur dit : « Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ?
Produisez donc un fruit digne de la conversion.
N’allez pas dire en vous-mêmes : “Nous avons Abraham pour père” ;
car, je vous le dis : des pierres que voici,
Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham.
Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres :
tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu.
Moi, je vous baptise dans l’eau, en vue de la conversion.
Mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi,
et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales.
Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.
Il tient dans sa main la pelle à vanner, il va nettoyer son aire à battre le blé,
et il amassera son grain dans le grenier ;
quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. »
Mt 3 1-12
Quelques réflexions sur ces beaux textes. La mission première de celui qui vient, de celui sur qui repose l’Esprit du Seigneur pour gouverner le peuple, concerne le jugement et la justice. Il vient comme un juge, remettre les pendules à l’heure, rappeler le droit et l’équité, réévaluer les comportements des uns et des autres à la lumière du jugement de Dieu et des critères qui sont les siens pour juger les valeurs humaines. On peut noter un point d’insistance majeur pour ce jugement. Un peuple où l’on bafoue le droit des pauvres, des malheureux sans recours, des faibles et des petits, est indigne de se considérer comme peuple de Dieu, peuple de l’Alliance, de se dire fils d’Abraham, car c’est la justice de Dieu qui s’en trouve bafouée.
Le Messie envoyé par Dieu pour guider le peuple sera investi d’une mission spirituelle mais aussi politique et sociale. Jean Baptiste formule un rappel à l’ordre énergique adressé à ceux qui exercent des responsabilités. Ils ont le devoir de donner priorité à l’exigence de justice et de bonté, dans leur manière de vivre, de gouverner, d’enseigner, de juger. Jean va très loin dans ce sens lorsqu’il harangue avec violence les pharisiens attachés aux prescriptions cultuelles, et les sadducéens autoritaires et partisans de l’ordre religieux. Il leur reproche de se prévaloir d’être fils d’Abraham pour se déclarer justes et pour imposer leurs conceptions et leurs pratiques. De manière provocatrice, il leur reproche de s’appuyer sur leur statut, sur leur autorité pour se croire dispensés de conversion. Le grand tentateur des origines était un serpent, et du coup on devine que d’être traités par Jean de vipères n’a pas dû réjouir les chefs religieux venus le rencontrer. Mais peut-être étaient-ils venus à Jean avec de bonnes dispositions ?
Ce n’est pas l’appartenance à une quelconque descendance ou à une quelconque nation, qui rend juste. C’est le fait de produire de bons fruits dans son existence, dans l’exercice de sa fonction religieuse sociale, politique. Des fruits de justice, de générosité, d’humilité. Ce message de Jean qui rejoint celui d’Isaïe est comme la bande-annonce de l’Evangile selon saint Matthieu.
Il est un jugement sévère de l’hypocrisie dont est menacée toute démarche religieuse, et dont sont menacées particulièrement les personnes en responsabilité d’une communauté, d’une Église. La foi n’est ni un refuge ni une forteresse : elle est un appel à la conversion permanente, à la marche vers la liberté et la vérité. Le critère de qualité d’une religion réside avant tout dans les fruits qu’elle produit chez ceux qui la vivent. Les certitudes, les intransigeances, les prétentions à la vérité de ceux qui en sont les guides peuvent produire des fruits détestables et scandaleux et distiller du venin : mépris, raideurs, violence, totalitarisme. Jean va jusqu’à traiter pharisiens et sadducéens d’engeance de vipères. On peut prétendre qu’on a pour Père Abraham, pour considérer qu’on est revêtu d’une fonction sacrée et ne pas se rendre compte que l’on est devenu des arbres morts, des plantes stériles, des êtres éteints et serviles, qui ne vivent que pour eux-mêmes, qui s’autoproclament parfaits, qui ne savent même plus ce que porter du fruit veut dire, ou qui proclament la miséricorde de Dieu les armes à la main et la condamnation aux lèvres. La vigueur du message de la Parole de Dieu se conjugue heureusement avec la douceur poétique et la vision idyllique du monde nouveau qu’annonce Isaïe.
Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau,
le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira.
La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits auront même gîte.
Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage.
Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra ;
sur le trou de la vipère, l’enfant étendra la main.
Il n’y aura plus de mal ni de corruption sur toute ma montagne sainte ;
car la connaissance du Seigneur remplira le pays
comme les eaux recouvrent le fond de la mer.
Ce jour-là, la racine de Jessé, père de David,
sera dressée comme un étendard pour les peuples,
les nations la chercheront, et la gloire sera sa demeure.
Is 11, 1-10
Ainsi, dans le royaume de Dieu, même les cobras, plus venimeux encore que les vipères, prendront soin des nourrissons, des plus petits !! Il y a un contraste saisissant entre ces images du texte d’Isaïe et celles des paroles de Jean Baptiste. Un rapprochement est sans doute à faire cependant, car dans les premières communautés chrétiennes on ne vivait pas toujours dans l’unité et la paix. Après la chute de Jérusalem en 70, quand Matthieu écrivait son évangile en Syrie ou au Liban, des tensions existaient dans les communautés chrétiennes. Certains membres étaient juifs ou païens convertis au christianisme et leur vie commune connaissait des difficultés. De plus ils étaient l’objet de persécutions de la part de pharisiens qui s’étaient enfuis de Jérusalem et les considéraient comme hérétiques et renégats : la destruction de Jérusalem avait accentué la rigidité de leurs pratiques. D’où des controverses et des épreuves incessantes dont l’évangile de Matthieu porte les traces. Aux uns, il s’efforce de montrer que le christianisme accomplit l’Ancien Testament sans l’abolir. Aux autres, il en confirme la vocation universelle et il prône l’ouverture aux païens. Pas facile pour les loups d’habiter avec les agneaux et encore moins pour les agneaux de vivre au milieu des loups !
Dans sa lettre aux chrétiens de Rome, saint Paul, ce dimanche, manifeste le même souci pastoral que Matthieu. Il appelle juifs et chrétiens à vivre en paix.
Tout ce qui a été écrit à l’avance dans les livres saints l’a été pour nous instruire,
afin que, grâce à la persévérance et au réconfort des Écritures,
nous ayons l’espérance.
Que le Dieu de la persévérance et du réconfort
vous donne d’être d’accord les uns avec les autres selon le Christ Jésus.
Ainsi, d’un même cœur, d’une seule voix,
vous rendrez gloire à Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ.
Accueillez-vous donc les uns les autres,
comme le Christ vous a accueillis pour la gloire de Dieu.
Car je vous le déclare : le Christ s’est fait le serviteur des Juifs,
en raison de la fidélité de Dieu, pour réaliser les promesses faites à nos pères ;
quant aux nations, c’est en raison de sa miséricorde
qu’elles rendent gloire à Dieu, comme le dit l’Écriture :
C’est pourquoi je proclamerai ta louange parmi les nations,
je chanterai ton nom.
Ro 15, 4-9,
Evangile selon saint Matthieu Mt 3, 1-12