Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter.
Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui :
« Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »
Jésus leur répond en disant trois paraboles : celle de la brebis perdue, de la pièce d’argent perdue, du fils perdu. Ceux qui ont perdu leur brebis, leur monnaie, leur fils font preuve d’une tendresse ou d’un soin débordants jusqu’à l’excès : ils se dépensent sans compter pour retrouver ce qu’ils ont perdu. Mais dans la parabole du père et de ses deux fils, le plus jeune d’entre eux fait preuve d’une mauvaise prodigalité. Il a quitté la maison et a gaspillé sa part d’héritage pour lui-même, pour sa propre jouissance et sa perte. Il serait préférable d’appeler la parabole, celle du père prodigue et de ses deux fils perdus. En effet, lorsque le père retrouve le fils qu’il avait perdu, il perd en quelque sorte celui qui était resté près de lui. L’évangéliste dresse de lui un portrait de père tendre et miséricordieux, mais n’évoque guère ses sentiments intimes. Peut-être a-t-il été chagriné, irrité et tenté de punir ? Le passage du livre de l’Exode proposé ce dimanche rapporte la déception et la colère de Dieu vis-à-vis de son peuple – qu’il considère comme son fils – parce qu’il s’est « écarté de son chemin, en faisant un veau en métal fondu et en lui rendant un culte. Il s’adresse à Moïse et lui dit :
« Va, descends, car ton peuple s’est corrompu,
lui que tu as fait monter du pays d’Égypte.
Ils n’auront pas mis longtemps à s’écarter du chemin
que je leur avais ordonné de suivre !
Ils se sont fait un veau en métal fondu et se sont prosternés devant lui.
Ils lui ont offert des sacrifices en proclamant :
“Israël, voici tes dieux, qui t’ont fait monter du pays d’Égypte.” »
Le Seigneur dit encore à Moïse :
« Je vois que ce peuple est un peuple à la nuque raide.
Maintenant, laisse-moi faire ; ma colère va s’enflammer contre eux
et je vais les exterminer ! Mais, de toi, je ferai une grande nation. »
Moïse apaisa le visage du Seigneur son Dieu en disant :
« Pourquoi, Seigneur, ta colère s’enflammerait-elle contre ton peuple,
que tu as fait sortir du pays d’Égypte par ta grande force et ta main puissante ?
Souviens-toi de tes serviteurs, Abraham, Isaac et Israël,
à qui tu as juré par toi-même :
“Je multiplierai votre descendance comme les étoiles du ciel ;
je donnerai, comme je l’ai dit, tout ce pays à vos descendants,
et il sera pour toujours leur héritage.” »
Le Seigneur renonça au mal qu’il avait voulu faire à son peuple.
C’est une très belle prière d’intercession de Moïse, semblable à celle d’Abraham pour les habitants de Sodome. Une manière de prêter à Dieu les sentiments des humains, une manière familière et simple d’intercéder pour qu’il accueille ses fils et se souvienne de son alliance, de sa tendresse. Moïse reste solidaire de son peuple pécheur. Jésus est en quelque le nouveau Moïse, solidaire de ses frères et sœurs en humanité. C’est en lui que nous avons l’apôtre et le grand prêtre de notre foi et de notre prière comme l’a écrit l’auteur de l’épître aux Hébreux. « Il s’est rendu en tout semblable à ses frères, pour devenir un grand prêtre miséricordieux et digne de foi pour les relations avec Dieu, afin d’enlever les péchés du peuple. Il a même été jugé digne d’une plus grande gloire que Moïse. » (Hé 2 et 3)
La liturgie nous propose les trois paraboles du long chapitre 15 de saint Luc. Nous avons déjà entendu lors du Carême de cette année, celle du père et de ses deux fils (cf 4e dimanche de Carême Année C). Contentons-nous de relire les deux premières.
Alors Jésus leur dit cette parabole :
« Si l’un de vous a cent brebis et qu’il en perd une,
n’abandonne-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert
pour aller chercher celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ?
Quand il l’a retrouvée, il la prend sur ses épaules, tout joyeux,
et, de retour chez lui, il rassemble ses amis et ses voisins pour leur dire : “Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue !”
Je vous le dis : C’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel
pour un seul pécheur qui se convertit,
plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion.
Ou encore, si une femme a dix pièces d’argent et qu’elle en perd une,
ne va-t-elle pas allumer une lampe,
balayer la maison, et chercher avec soin jusqu’à ce qu’elle la retrouve ?
Quand elle l’a retrouvée, elle rassemble ses amies et ses voisines pour leur dire : “Réjouissez-vous avec moi,
car j’ai retrouvé la pièce d’argent que j’avais perdue !”
Ainsi je vous le dis : Il y a de la joie devant les anges de Dieu
pour un seul pécheur qui se convertit. »
Lc 15,1-32
Vient ensuite, dans le chapitre 15, la parabole du Père et de ses deux fils. Dans ces récits, Jésus s’adresse aux scribes et aux pharisiens, qui défigurent l’image de Dieu. Alors qu’au nom de son Père, il est miséricordieux, il sauve et pardonne, ils pensent quant à eux que le Dieu de leur Loi et de leurs préceptes compte, mesure, limite et calcule comme une divinité pingre agrippée à sa cassette, propriétaire jalouse qui veut garder le contrôle sur ce qu’elle donne, ou alors ne graciant que ceux qui le méritent. En empruntant un vocabulaire moderne, ils imaginent un paradis copié/collé modèle du monde terrestre, avec des ordinateurs qui ont tout mémorisé du moindre détail de la vie de chacun et même du plus secret de sa conscience ! Ce qui suppose sans doute dans le ciel un personnel d’administration innombrable, et des offres d’emploi sans limites.
Les pharisiens et les scribes qui critiquent la prodigalité, la générosité de Jésus vis-à-vis des pécheurs, se comportent comme le fils aîné qui refuse de se réjouir quand le père prodigue de son pardon lui ouvre les bras et organise un festin pour le retour de son fils perdu. Ils s’emprisonnent dans leur religion d’avares, engoncés dans la pratique minutieuse et obsessionnelle de leurs prescriptions. Il semble que leur cœur s’est pétrifié et est devenu incapable de pitié et de miséricorde. Ce faisant, ils ont trahi et mal compris le vrai visage du Dieu de la création et de l’Alliance, débordant de vie, de grâce et de miséricorde jusqu’à l’excès. Jésus est le fils prodigue d’un Père prodigue. Il dépense à l’excès sa bonté pour les pécheurs : c’est pour eux un scandale et une honte. Ce n’est pas un tel Messie qu’ils attendent. Nous savons jusqu’où conduira Jésus cet excès d’amour dont il fait preuve. Retenons bien les conclusions de ces paraboles.
Ainsi je vous le dis : la joie devant les anges de Dieu
pour un seul pécheur qui se convertit.
Le frère qui était mort et est revenu à la vie,
qui était perdu, et qui est retrouvé…
Ainsi ce qui réjouit le cœur de Dieu c’est qu’aucun de ses enfants ne se perde. Ils peuvent se perdre de deux manières, en gaspillant ce qu’ils sont et ce qu’ils ont pour leur propre jouissance et non pour le bonheur des autres, en fabriquant et adorant des « veaux d’or ». Ou alors en n’aimant et en ne pardonnant jamais que chichement, armés de balances et de règles à calcul. Dans l’un et l’autre cas, Dieu se lamente sur ses enfants perdus et n’a de cesse de les attendre, de les voir revenir et se convertir. Il guette le retour de celui qui gaspille sa vie, et supplie celui qui est enfermé dans sa raideur et ses principes, de laisser d’abord parler son cœur et de se comporter vis-à-vis de son père comme un homme libre et non un esclave. Dieu ne se réjouit pas d’abord de nous voir remplis de mérites, de science ou d’intransigeance, mais de voir que nous avons du cœur comme lui. Il ne se réjouit pas de voir nos communautés vivre comme des groupes fermés, mais au contraire de les voir ouvertes, et de voir leurs membres rejoindre les pécheurs, les paumés, les perdus. Il se réjouit du fait qu’ils leur révèlent ainsi qu’il sont l’objet privilégié de sa sollicitude. Saint Paul était pharisien. Il s’est converti, il s’est laissé toucher par le Christ. Ce qu’il dit à Timothée témoigne de l’expérience qu’il a vécue lui-même. Il a d’abord réagi comme le fils aîné de la parabole, mais il s’est converti et en est revenu.
Je suis plein de gratitude envers celui qui me donne la force,
le Christ Jésus notre Seigneur, car il m’a estimé digne de confiance
lorsqu’il m’a chargé du ministère,
moi qui étais autrefois blasphémateur, persécuteur, violent.
Mais il m’a été fait miséricorde, car j’avais agi par ignorance,
n’ayant pas encore la foi ;
la grâce de notre Seigneur a été encore plus abondante,
avec elle la foi, et avec l’amour qui est dans le Christ Jésus.
Voici une parole digne de foi, et qui mérite d’être accueillie sans réserve :
le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs ;
et moi, je suis le premier des pécheurs.
Mais s’il m’a été fait miséricorde,
c’est afin qu’en moi le premier, le Christ Jésus montre toute sa patience,
pour donner un exemple à ceux qui devaient croire en lui,
en vue de la vie éternelle.
Au roi des siècles, Dieu immortel, invisible et unique,
honneur et gloire pour les siècles des siècles ! Amen.
Finalement, Jésus à travers ses paraboles révèle aux pharisiens et aux scribes que les vrais perdus et les vrais perdants, ce sont eux. Avec leur intransigeance ils sont plus loin du cœur de Dieu que les pécheurs. Ils sont incapables de se réjouir avec Dieu quand les pécheurs se convertissent. Que chacun et chacune de nous s’en souvienne : nous sommes tous des enfants perdus, mais des enfants à qui Dieu prodigue son pardon sans limites : c’est en accueillant son pardon et en changeant nos cœurs que nous faisons sa joie, c’est en cela que nous sommes dignes de tout service et ministère dans son Église.
Evangile selon saint Luc – Lc15, 1-32