« La foi est le moyen de posséder déjà ce qu’on espère, et de connaître des réalités qu’on ne voit pas. » Une belle définition de ce qu’est la foi. On l’a parfois réduite à l’adhésion à des dogmes ou à des préceptes. Les textes de ce dimanche la présentent comme un cheminement personnel semblable à celui de nos ancêtres croyants, à leur itinéraire spirituel et à leur courage de toujours garder confiance en Dieu. Tout d’abord un passage du Livre de la Sagesse.
La nuit de la délivrance avait été connue d’avance par nos Pères ;
assurés des promesses auxquelles ils avaient cru, ils étaient dans la joie.
Et ton peuple accueillit à la fois
le salut des justes et la ruine de leurs ennemis.
En même temps que tu frappais nos adversaires,
tu nous appelais à la gloire.
Dans le secret de leurs maisons,
les fidèles descendants des justes offraient un sacrifice,
et ils consacrèrent d’un commun accord cette loi divine :
que les saints partageraient aussi bien le meilleur que le pire ;
et déjà ils entonnaient les chants de louange des Pères.
Sg 18, 6-9
L’auteur de l’épître aux Hébreux rappelle lui aussi aux disciples de Jésus l’espérance courageuse des Pères dans la foi, tout au long de l’histoire d’Israël.
La foi est une façon de posséder ce que l’on espère,
un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas.
Et quand l’Écriture rend témoignage aux anciens, c’est à cause de leur foi.
Grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu :
il partit vers un pays qu’il devait recevoir en héritage,
et il partit sans savoir où il allait.
Grâce à la foi, il vint séjourner en immigré dans la Terre promise,
comme en terre étrangère ;
il vivait sous la tente, ainsi qu’Isaac et Jacob, héritiers de la même promesse,
car il attendait la ville qui aurait de vraies fondations,
la ville dont Dieu lui-même est le bâtisseur et l’architecte.
Grâce à la foi, Sara, elle aussi, malgré son âge,
fut rendue capable d’être à l’origine d’une descendance
parce qu’elle pensait que Dieu est fidèle à ses promesses.
C’est pourquoi, d’un seul homme, déjà marqué par la mort,
a pu naître une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, une multitude innombrable.
C’est dans la foi, sans avoir connu la réalisation des promesses,
qu’ils sont tous morts ; mais ils l’avaient vue et saluée de loin,
affirmant que, sur la terre, ils étaient des étrangers et des voyageurs.
Or, parler ainsi, c’est montrer clairement qu’on est à la recherche d’une patrie.
S’ils avaient songé à celle qu’ils avaient quittée,
ils auraient eu la possibilité d’y revenir.
En fait, ils aspiraient à une patrie meilleure, celle des cieux.
Aussi Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu,
puisqu’il leur a préparé une ville.
Grâce à la foi, quand il fut soumis à l’épreuve, Abraham offrit Isaac en sacrifice.
Et il offrait le fils unique, alors qu’il avait reçu les promesses
et entendu cette parole :
C’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom.
Il pensait en effet que Dieu est capable même de ressusciter les morts ;
c’est pourquoi son fils lui fut rendu : il y a là une préfiguration.
H 11 1-2 8-19
Benoît XVI et François ont publié en 2013 l’encyclique « Lumen fidei » dans laquelle ils commentent ce texte. « La Parole dite à Abraham – pouvons-nous lire dans leur écrit (n°9) – est un appel et une promesse. Elle est avant tout appel à sortir de sa propre terre, invitation à s’ouvrir à une vie nouvelle, commencement d’un exode qui le conduit vers un avenir insoupçonné. La vision que la foi donnera à Abraham sera toujours jointe à ce pas en avant à accomplir. La foi « voit » dans la mesure où Abraham marche, où il entre dans l’espace ouvert par la Parole de Dieu. Cette parole contient en outre une promesse : ta descendance sera nombreuse, tu seras le père d’un grand peuple (Gn 13, 16 ; 15, 5 ; 22, 17). Il est vrai qu’en tant que réponse à une Parole qui précède, la foi d’Abraham sera toujours un acte de mémoire. Toutefois cette mémoire ne fixe pas dans le passé mais, étant mémoire d’une promesse, elle devient capable d’ouvrir vers l’avenir, d’éclairer les pas au long de la route. On voit ainsi comment la foi, en tant que mémoire de l’avenir, est étroitement liée à l’espérance. »
Les croyants dont parlent la lettre aux Hébreux et les deux papes ont cru aux promesses de bonheur annoncées par Dieu sans en voir la pleine réalisation. Tous ont espéré contre toute espérance. La foi qu’ils nous ont transmise consiste à attendre dans la confiance notre vie du Seigneur et à mettre en lui notre espoir. C’est ce qu’exprime le psaume 32 de ce dimanche.
Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.
Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi !
Cette parole du psaume rejoint la présentation de la foi dans l’encyclique des deux papes : « La foi est un don gratuit de Dieu qui demande l’humilité et le courage d’avoir confiance et de faire confiance, afin de voir le chemin lumineux de la rencontre entre Dieu et les hommes, l’histoire du salut. » Croire c’est avoir confiance et faire confiance. Mais où, en qui et en quoi placer sa confiance ? La tentation est grande aujourd’hui plus que jamais, pour l’homme moderne, de ne placer sa confiance qu’en lui-même, qu’en la raison, les progrès scientifiques et techniques, et la recherche « d’avoir de l’avoir plein ses armoires, dérision de lui dérisoire », comme l’a chanté Alain Souchon. Ce que dit le psalmiste est à l’opposé de cette attitude. Il nous invite à placer notre confiance, notre espoir en Dieu de qui nous avons tout reçu, à chercher le bonheur dans la désappropriation, le don de nous-mêmes, à ne jamais perdre de vue les limites de notre condition humaine. L’homme heureux, dit le psalmiste, est celui qui n’oublie jamais que sa vie il l’a reçue et la reçoit sans cesse par pure grâce, d’un Autre plus grand lui, d’un Autre qui l’aime sans mesure, car il n’est qu’amour. C’est en lui qu’il place sa confiance. L’homme heureux reste vigilant et serviteur de Dieu. Il craint Dieu comme l’amoureux craint de peiner la personne qu’il aime et est toujours soucieux que s’illumine de bonheur son visage quand il la regarde.
C’est la lumière du bonheur sur le visage de Dieu et de ses frères qui le rend heureux. Le partage de la foi est ainsi un partage de la lumière. C’est le geste liturgique que nous faisons à chaque veillée pascale en renouvelant la profession de foi de notre baptême. Il rejoint ce que faisaient les hébreux quand ils faisaient mémoire de leur libération pascale de l’esclavage Cette nuit avait été connue d’avance par leurs Pères ; assurés des promesses auxquelles ils avaient cru, ils étaient dans la joie. Jésus parle de tout cela dans l’Evangile de ce dimanche en saint Luc.
Jésus disait à ses disciples : « Sois sans crainte, petit troupeau :
votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume.
Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumône.
Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas,
un trésor inépuisable dans les cieux,
là où le voleur n’approche pas, où la mite ne détruit pas.
Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur.
Restez en tenue de service,
votre ceinture autour des reins, et vos lampes allumées.
Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces,
pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte.
Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée,
trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis :
c’est lui qui, la ceinture autour des reins,
les fera prendre place à table et passera pour les servir.
S’il revient vers minuit ou vers trois heures du matin
et qu’il les trouve ainsi, heureux sont-ils !
Vous le savez bien : si le maître de maison avait su
à quelle heure le voleur viendrait,
il n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison.
Vous aussi, tenez-vous prêts :
c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. »
Pierre dit alors :
« Seigneur, est-ce pour nous que tu dis cette parabole, ou bien pour tous ? »
Le Seigneur répondit :
« Que dire de l’intendant fidèle et sensé
à qui le maître confiera la charge de son personnel
pour distribuer, en temps voulu, la ration de nourriture ?
Heureux ce serviteur que son maître, en arrivant, trouvera en train d’agir ainsi !
Vraiment, je vous le déclare : il l’établira sur tous ses biens.
Mais si le serviteur se dit en lui-même :
“Mon maître tarde à venir”,
et s’il se met à frapper les serviteurs et les servantes,
à manger, à boire et à s’enivrer,
alors quand le maître viendra, le jour où son serviteur ne s’y attend pas
et à l’heure qu’il ne connaît pas,
il l’écartera et lui fera partager le sort des infidèles.
Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître,
n’a rien préparé et n’a pas accompli cette volonté,
recevra un grand nombre de coups.
Mais celui qui ne la connaissait pas,
et qui a mérité des coups pour sa conduite,
celui-là n’en recevra qu’un petit nombre.
À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ;
à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage.
Luc 12 32-48
Jésus ne parle pas directement de la foi dans ses paraboles, mais il révèle à ses disciples et aux foules en quel Dieu ils sont appelés à croire. Il est un Père qui ne se manifeste pas comme un propriétaire jaloux, mais comme un donateur sans recherche d’intérêt. Son bonheur est de veiller sur les humains, de délivrer de la mort spirituelle ceux qui dorment sur leurs faux trésors. Son désir est de garder en vie, aux jours de famine, ceux qui ont faim et soif de justice et de paix. Il n’est pas un Dieu froid et indifférent mais tendre et miséricordieux. Il prend soin de tous, il est pour tous un appui qui les réconforte et un bouclier qui les protège quelles que soient les épreuves qu’ils traversent. Il est le maître de tout, et paradoxalement, Jésus le présente même comme un maître de maison qui prend la tenue de service pour servir personnellement chacun de ses serviteurs. Telle sera aussi l’image que Jésus donnera de lui-même : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert. » (Lc 22) Vous m’appelez le Maître et le Seigneur et vous dites bien car je le suis. Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous devez, vous aussi, vous laver les pieds les uns aux autres ». (Jn 13, 13-14) Faites-le en mémoire de moi.
Après avoir entendu ce que disait Jésus, Pierre lui demande si ses paroles s’adressent à tout le monde ou seulement au groupe des apôtres. Voici sa réponse :
« Quel est donc l’intendant fidèle et sensé
à qui le maître confiera la charge de ses domestiques pour leur donner,
en temps voulu, leur part de blé ?
Heureux serviteur, que son maître, en arrivant, trouvera à son travail.
Vraiment, je vous le déclare : il lui confiera la charge de tous ses biens. […]
À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ;
à qui l’on a beaucoup confié,
on réclamera davantage. »
A la question de Pierre, Jésus répond en employant deux verbes : donner et confier. A tous, Dieu fait don de talents de vie qui concernent des tâches et des fonctions à accomplir dans leur travail et leur service des autres selon leur capacité. A tous il demande de beaucoup les faire fructifier, de ne pas les laisser dormir. Le verbe donner concerne tout le monde. Mais à quelques-uns, ses intendants, il confie des charges d’un personnel, de domestiques, mandatés au besoin pour gérer sa maison en sa présence et aussi en son absence. Elles concernent les relations, les responsabilités vis-à-vis de personnes à guider, à diriger, à accompagner dans leurs relations parentales, conjugales, sociales, professionnellesl, dans des communautés et organisations diverses. A ses apôtres, ce sont ces charges pastorales que Jésus confie personnellement pour la vie de l’Eglise. La charge qu’il leur confie est d’accomplir des fonctions mais aussi d’organiser les tâches et de confier à leur tour des responsabilités à d’autres. Aux intendants de son peuple Dieu réclame davantage, dit Jésus, car leur responsabilité est plus grande et plus belle, et donc aussi plus forte est leur exigence d’être serviteurs des autres.
Nous sommes tous concernés par le don et la confiance, et tous appelés à donner de nous-mêmes, à la fois beaucoup et davantage, car le service de l’Evangile ne se compte pas.
Évangile : selon saint Luc – Lc 12, 32-48