Le thème de l’accueil et de l’hospitalité est très présent dans les textes bibliques de ce dimanche et il rejoint notre actualité : tant de personnes s’enfuient de leur pays où règnent les guerres, les famines, et frappent à nos portes. Le temps des vacances peut aussi nous donner l’occasion d’ouvrir nos portes à des inconnus, des étrangers, des nouvelles connaissances. Deux récits d’hospitalité ce dimanche : chez Abraham, puis chez Marthe et Marie. L’hospitalité proverbiale des nomades est attestée de manière sympathique dans le récit de la Genèse, par l’attitude d’Abraham, « l’araméen nomade » passant de « camping en camping » et accueillant dans sa tente les hôtes de passage (Gn 18). Il lui arrivera même de recevoir Dieu en personne sans trop le reconnaître. L’auteur de la Lettre aux Hébreux écrira à ses lecteurs : « N’oubliez pas l’hospitalité, car grâce à elle, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges ». (13, 1-2) Prenons le temps de savourer le récit du livre de la Genèse qui a inspiré particulièrement le peintre Chagall.
Aux chênes de Mambré, le Seigneur apparut à Abraham,
qui était assis à l’entrée de la tente. C’était l’heure la plus chaude du jour.
Abraham leva les yeux, et il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui.
Dès qu’il les vit, il courut à leur rencontre depuis l’entrée de la tente
et se prosterna jusqu’à terre.
Il dit : « Mon seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux,
ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur.
Permettez que l’on vous apporte un peu d’eau,
vous vous laverez les pieds, et vous vous étendrez sous cet arbre.
Je vais chercher de quoi manger,
et vous reprendrez des forces avant d’aller plus loin,
puisque vous êtes passés près de votre serviteur ! »
Ils répondirent : « Fais comme tu l’as dit. »
Abraham se hâta d’aller trouver Sara dans sa tente,
et il dit : « Prends vite trois grandes mesures de fleur de farine,
pétris la pâte et fais des galettes. »
Puis Abraham courut au troupeau, il prit un veau gras et tendre,
et le donna à un serviteur, qui se hâta de le préparer.
Il prit du fromage blanc, du lait, le veau que l’on avait apprêté,
et les déposa devant eux ; il se tenait debout près d’eux, sous l’arbre,
pendant qu’ils mangeaient.
Ils lui demandèrent : « Où est Sara, ta femme ? »
Il répondit : « Elle est à l’intérieur de la tente. »
Le voyageur reprit : « Je reviendrai chez toi au temps fixé pour la naissance,
et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils. »
Abraham a vu trois hommes et pourtant il s’adresse à eux comme à un seul. Il s’agit sans doute du Seigneur, entouré des deux anges qui se trouvent sur le chemin de Sodome pour une punition car ses fautes sont lourdes. Dieu fait un détour pour consulter le partenaire de son Alliance : « Le Seigneur s’était dit : « Est-ce que je vais cacher à Abraham ce que je veux faire ? Car Abraham doit devenir une nation grande et puissante, et toutes les nations de la terre doivent être bénies en lui ». (Gn 18 17-18)
Fidèle au devoir d’hospitalité, Abraham reçoit Dieu lui-même en la personne des trois étrangers. Sa prière d’invitation est émouvante : « Seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur ». Elle annonce déjà la prière des marcheurs d’Emmaüs : « Jésus fit semblant d’aller plus loin ». Ils lui dirent alors : « Reste avec nous… et il entra pour rester avec eux… » Et voilà que l’hôte de passage annonce à Abraham que son épouse âgée et stérile va enfanter. Dommage que l’on ait coupé dans les missels la fin savoureuse du récit de la Genèse. Mais rien n’empêche de la lire.
Or, Sara écoutait par-derrière, à l’entrée de la tente.
Abraham et Sara étaient très avancés en âge,
et Sara avait cessé d’avoir ce qui arrive aux femmes.
Elle se mit à rire en elle-même ; elle se disait :
« J’ai pourtant passé l’âge du plaisir, et mon seigneur est un vieillard ! »
Le Seigneur Dieu dit à Abraham : « Pourquoi Sara a-t-elle ri, en disant :
“Est-ce que vraiment j’aurais un enfant, vieille comme je suis ?”
Y a-t-il une merveille que le Seigneur ne puisse accomplir ?
Au moment où je reviendrai chez toi,
au temps fixé pour la naissance, Sara aura un fils. »
Sara mentit en disant : « Je n’ai pas ri », car elle avait peur.
Mais le Seigneur répliqua : « Si, tu as ri. »
Gn18 1-15
Grand branle-bas dans la maisonnée. Abraham court au troupeau, prend le veau gras, le donne à un serviteur, qui se hâte de le préparer. Sara prend trois grandes mesures de farine, pétrit la pâte et fait des galettes. Trois mesures de farine, ce qui équivaut à 135 litres, un chiffre qui exprime la surabondance et que reprendra Jésus dans une parabole (Lc 13, 17-21) du Royaume. On peut noter que Sara est à l’intérieur de la tente. Elle écoute ce que disent les hommes à son sujet. Elle est bien concernée cependant, puisque l’hôte de passage a annoncé à son époux que dans un an elle sera mère. Sa réaction d’éclater de rire – peut-être intérieurement – a été entendue ou devinée par lui et il en semble contrarié. Quand le Seigneur en demande la raison à Abraham, elle se défend d’avoir ri. Il ne s’adresse plus alors à Abraham mais à elle en personne et lui dit : « Si ! tu as ri ». Décidément les premières fois que Dieu s’adresse directement aux femmes dans la Bible, c’est pour les accuser ! Il avait reproché à Eve d’avoir écouté le serpent et il reproche à Sara de n’avoir pas pris au sérieux ses promesses ! Il remplira de joie aussi Marie, la mère de son fils qui chantera son « Magnificat ».
Dans l’Evangile, encore un récit de Luc. Comme celui du bon samaritain, il est le seul à le rapporter. Jésus est invité chez deux sœurs, Marthe et Marie, dont il ne nous est pas dit si elles sont épouses, mères ou célibataires. Dans l’univers palestinien du temps de Jésus, les Douze, comme les hommes de leur temps, ne parlaient guère aux femmes, du moins en public. Ils étaient choqués de voir Jésus s’entretenir avec la samaritaine (Jn 4,27), comme l’était Simon quand il s’adressait chez lui à une pécheresse publique. Une seule exception, la réponse de Pierre à la servante qui le reconnaît au soir du jeudi saint : « Je ne sais pas ce que tu veux dire ». Dans les évangiles, Jésus, quant à lui, dialogue couramment et en diverses circonstances avec les femmes. C’est là une grande nouveauté. Il entend leurs questions, écoute leurs réponses et souvent reconnaît en elles la force de l’Esprit. Elles sont les premières à entendre, recueillir et annoncer son message de ressuscité ; nous l’avons déjà signalé à Pâques.
Dans l’évangile selon saint Luc, Jésus est reçu chez Marthe et sa sœur Marie. Marthe s’affaire au moins autant qu’Abraham, Sara et leur serviteur pour préparer le repas avec les trois hôtes de passage.
Chemin faisant, Jésus entra dans un village.
Une femme nommée Marthe le reçut.
Elle avait une sœur appelée Marie
qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.
Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service.
Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien
que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. »
Le Seigneur lui répondit :
« Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses.
Une seule est nécessaire.
Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »
Lc 10, 38-42
Comment comprendre l’agacement de Marthe ? Jésus est accueilli par deux femmes, et l’une d’entre elles, Marie, assise aux pieds du Seigneur, en écoutant son enseignement, contrevient aux règles les plus élémentaires de la religion au temps de Jésus : les femmes sont exclues en effet de l’enseignement religieux. « Apprendre la Loi à sa fille est comme lui apprendre la débauche », lit-on dans la Mishna (recueil de traditions juives) à la fin du premier siècle. Or Jésus encourage une femme à suivre son enseignement, alors que la place des femmes est celle de Marthe, celle du service aux cuisines. Nous avons peine à percevoir aujourd’hui l’aspect provoquant de ce récit. Il témoigne d’une nouveauté chrétienne attestée surtout dans les écrits de Luc et certaines lettres de Paul. Le fait que les femmes aussi seront baptisées, recevront un enseignement et se verront confier de grandes responsabilités dans les Églises des commencements (cf Phoebé et Prisca ; Rm 16, 1-4). Marie est une femme, elle a choisi la meilleure part, celle jusque-là réservée aux hommes. Elle ne lui sera pas enlevée, dit Jésus. L’histoire de l’Eglise ne lui donnera pas toujours raison !
Trois belles figures de femmes dans ces récits. Sara, âgée et stérile, par qui va naître Isaac, « l’enfant du rire » et de la promesse. Lorsque survient l’alliance entre Dieu et l’humanité, cela donne lieu à un éclat de rire ! Marthe, la maîtresse de maison besogneuse et attentionnée, et Marie sa sœur qui se nourrit de la parole de Jésus. En celle-ci toutes les femmes sont appelées à l’égal des hommes à être ses disciples.
Saint Paul écrit aux écrira aux Chrétiens de Colosses. Pour lui aussi sa mission, comme celle de tout disciple du Christ est d’annoncer la Parole. Toutes les nations sont appelées à le connaître.
Maintenant je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous ;
ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair,
je l’accomplis pour son corps qui est l’Église.
De cette Église, je suis devenu ministre,
et la mission que Dieu m’a confiée,
c’est de mener à bien pour vous l’annonce de sa parole,
le mystère qui était caché depuis toujours à toutes les générations,
mais qui maintenant a été manifesté à ceux qu’il a sanctifiés.
Car Dieu a bien voulu leur faire connaître
en quoi consiste la gloire sans prix de ce mystère parmi toutes les nations :
le Christ est parmi vous, lui, l’espérance de la gloire !
Ce Christ, nous l’annonçons : nous avertissons tout homme,
nous instruisons chacun en toute sagesse,
afin de l’amener à sa perfection dans le Christ.
Col 1 24-28
Evangile selon saint Luc – Lc10, 38-42