Nos calendriers civils mentionnent le caractère spécial de ce jeudi. Une survivance des origines chrétiennes dans notre laïcité. Jour férié, belle occasion de week-end printanier prolongé. Mais pourquoi lui attribuer un mot abstrait qui parle de Jésus dans un vocabulaire d’ascenseurs, de décollages d’avions ou de fusées s’envolant dans l’espace intersidéral ? Gagarine était monté au ciel et proclamait qu’il n’y avait pas vu Dieu. Heureusement !
Il est nécessaire pour comprendre les textes bibliques de connaître les représentations qu’avaient leurs auteurs, du cosmos et des rapports entre le divin et l’humain, entre le céleste et le terrestre. Pour bien comprendre les récits, il faut connaître la façon dont les hommes et les femmes se représentaient le monde dans les temps bibliques. Pour eux, la terre était plate et soutenue par de gros piliers. C’était le lieu de vie des humains. En haut, dans le ciel, se trouvaient les eaux, les luminaires, mais surtout Dieu et sa cour divine. Sous la terre, était situé le lieu de la mort : le shéol. Dans le deuxième Livre des Rois (2 R 2, 9), Élie avait été enlevé de la terre, le lieu de vie des humains, vers le ciel, le lieu de Dieu. On surnommait Élie « l’homme de Dieu ». Il était tellement rempli de Dieu qu’il avait été enlevé vers lui à la fin de sa vie.
La fête chrétienne que nous célébrons aujourd’hui concerne une séparation, une absence de quelqu’un qui était présent. Il disparaît, il s’en va, il est emporté, il est élevé : un ensemble d’images riches de sens. Mais le verbe « monter » ne convient guère. Comble de paradoxe, au moment de son départ il affirme qu’il sera toujours le compagnon permanent de ceux qu’il est en train de quitter. Il s’en va mais « il apparaîtra une seconde fois », comme l’a écrit l’auteur de la Lettre aux Hébreux.
Le Christ n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme,
figure du sanctuaire véritable ; il est entré dans le ciel même,
afin de se tenir maintenant pour nous devant la face de Dieu.
Il n’a pas à s’offrir lui-même plusieurs fois,
comme le grand prêtre qui, tous les ans, entrait dans le sanctuaire
en offrant un sang qui n’était pas le sien ;
car alors, le Christ aurait dû plusieurs fois
souffrir la Passion depuis la fondation du monde.
Mais en fait, c’est une fois pour toutes, à la fin des temps,
qu’il s’est manifesté pour détruire le péché par son sacrifice.
Et, comme le sort des hommes est de mourir une seule fois et puis d’être jugés,
ainsi le Christ s’est-il offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude ;
il apparaîtra une seconde fois, non plus à cause du péché,
mais pour le salut de ceux qui l’attendent.
Frères, c’est avec assurance que nous pouvons entrer
dans le véritable sanctuaire grâce au sang de Jésus :
nous avons là un chemin nouveau et vivant
qu’il a inauguré en franchissant le rideau du Sanctuaire ;
or, ce rideau est sa chair.
Et nous avons le prêtre par excellence,
celui qui est établi sur la maison de Dieu.
Avançons-nous donc vers Dieu
avec un cœur sincère et dans la plénitude de la foi,
le cœur purifié de ce qui souille notre conscience,
le corps lavé par une eau pure.
Continuons sans fléchir d’affirmer notre espérance,
car il est fidèle, celui qui a promis.
Hé 9 24-28 ; 10 19-2
Voilà ce que célèbrent les chrétiens aujourd’hui. Désormais, croient-ils, l’un de leurs frères, qui venait de Dieu et qui a vécu sa condition humaine en ce qu’elle peut avoir de plus éprouvant et humiliant « se tient devant la face Dieu », une expression différente de celle du premier Testament qui parle de siéger à sa droite.
Cette année, nous relisons encore le commencement des Actes des Apôtres, et c’est saint Luc qui pour conclure son évangile nous fait entendre les dernières paroles de Jésus adressées aux Onze et à leurs compagnons. Il les invite à se souvenir de son interprétation des Écritures à son sujet. « A vous d’en être les témoins », leur dit-il comme mot d’adieu et d’envoi en mission. Il leur promet la venue sur eux et en eux de la puissance de l’Esprit.
Cher Théophile, dans mon premier livre,
j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné,
depuis le moment où il commença, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel,
après avoir, par l’Esprit Saint,
donné ses instructions aux Apôtres qu’il avait choisis.
C’est à eux qu’il s’est présenté vivant après sa Passion ;
il leur en a donné bien des preuves,
puisque, pendant quarante jours, il leur est apparu
et leur a parlé du royaume de Dieu.
Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux,
il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem,
mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père.
Il déclara : « Cette promesse, vous l’avez entendue de ma bouche :
alors que Jean a baptisé avec l’eau,
vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. »
Ainsi réunis, les Apôtres l’interrogeaient :
« Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? »
Jésus leur répondit : « Il ne vous appartient pas
de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité.
Mais vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ;
vous serez alors mes témoins à Jérusalem,
dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »
Après ces paroles, tandis que les Apôtres le regardaient,
il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux.
Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait,
voici que, devant eux, se tenaient deux hommes en vêtements blancs,
qui leur dirent : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ?
Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous,
viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »
Ac 1, 1-11
Dans le texte qui conclut son Évangile, saint Luc nous fait entendre les dernières paroles de Jésus ressuscité adressées aux Onze et à leurs compagnons au cours d’un repas.
Jésus ressuscité, apparaissant à ses disciples leur dit :
« Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait,
qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour,
et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés,
à toutes les nations, en commençant par Jérusalem.
À vous d’en être les témoins.
Et moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis.
Quant à vous, demeurez dans la ville
jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut. »
Puis Jésus les emmena au dehors, jusque vers Béthanie ;
et, levant les mains, il les bénit.
Or, tandis qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et il était emporté au ciel.
Ils se prosternèrent devant lui, puis ils retournèrent à Jérusalem, en grande joie.
Et ils étaient sans cesse dans le Temple à bénir Dieu.
Lc 24 46-53
Jésus invite ses disciples à se souvenir de la manière dont il a interprété et vécu les Écritures à son sujet. C’est de cela qu’ils ont la charge d’être les témoins », leur dit-il comme mot d’adieu et d’envoi en mission. Il leur déclare qu’il est vain pour eux de s’installer dans la perspective du moment de l’accomplissement final du Royaume de Dieu. Lorsqu’un ami, lorsqu’un proche meurt, vient le temps du deuil. Il faut du temps pour accepter son absence, pour organiser sa vie autrement. Il faut au temps le temps de faire son travail. Cela peut durer un an ou plus parfois. C’est un peu le sens de cette fête de l’Ascension. Elle arrive 40 jours après Pâques. Un chiffre symbolique dans la Bible. Rappelons-nous les 40 ans d’Israël et les 40 jours de Jésus au désert. Ce temps du deuil n’est pas un temps vide, un temps mort. C’est un temps où l’on continue d’habiter avec celui qui s’en est allé, de lui parler, de se souvenir de son visage, de ses paroles. C’est un temps où l’on envisage aussi l’avenir. Il n’est plus là et cependant il est vivant, ressuscité et donc, il faut prendre le relais, se retrousser les manches, se prendre en main, et aussi continuer à vivre, poursuivre sa tâche et son idéal. En attendant sa venue de la gloire.
Evangile selon Luc – Lc 24, 46-53