Les lectures de ce dimanche sont d’actualité puisque se prépare le synode des évêques qui aura lieu l’an prochain à Rome. Un temps d’écoute, de dialogue et de discernement que l’Église tout entière entend mener depuis l’an dernier, afin de mieux répondre à sa mission d’annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ au monde entier.
La lecture des Actes des apôtres nous plonge dans le temps de l’Église en ses commencements. Elle se trouve en face d’une question majeure. Un violent conflit éclate entre les chrétiens qui viennent du judaïsme et ceux qui viennent du monde païen. Les premiers pensent qu’il faut imposer aux seconds toutes les pratiques religieuses du judaïsme – notamment la circoncision –, pour qu’ils entrent dans l’Église. Ce conflit coïncide avec l’émergence de deux villes devenues des pôles importants de la vie des chrétiens : Jérusalem, capitale du judaïsme où résident les Apôtres et les anciens, et Antioche, ville syrienne qui est devenue un foyer d’évangélisation des païens. C’est à Antioche qu’habitent Paul et Barnabé après avoir parcouru les terres païennes de nombreux pays méditerranéens et y avoir fondé des communautés. Le chapitre commence ainsi :
En ces jours-là, des gens venus de Judée
enseignaient les frères de l’Église d’Antioche en leur disant :
« Si vous ne recevez pas la circoncision selon la loi de Moïse,
vous ne pouvez pas être sauvés. »
Cela provoqua un conflit et des discussions assez graves
entre ces gens-là et Paul et Barnabé.
Alors on décida que Paul et Barnabé, avec quelques autres frères,
monteraient à Jérusalem auprès des Apôtres et des Anciens
pour discuter de cette question.
Ainsi donc ce conflit suscite la mise en place – vers l’an 49 – d’une assemblée générale de l’Église, un « synode » ou un « concile » dirait-on aujourd’hui, avec des explications, des réflexions, des débats et des décisions. Le texte liturgique de ce dimanche ne présente que le début et la conclusion du récit de Luc, et ne mentionne pas les douze versets qui suivent. Il est bon de les signaler pour bien en saisir la portée. Luc nous y rapporte trois prises de parole successives. Comme la discussion est vive, Pierre d’abord, revêtu de son autorité spirituelle, prend la parole. Il déclare ne pas vouloir imposer aux païens des prescriptions de la Loi qui ont été « un joug que les juifs eux-mêmes ont été incapables de porter » (v.10).
Barnabé et Paul abondent dans le sens de Pierre et attestent qu’ils ont vu Dieu à l’œuvre dans leur mission chez les païens, sans qu’ils soient circoncis. Jacques, enfin, le frère de Jésus, qui représente avec les anciens de Jérusalem une tendance plutôt légaliste et judaïsante, s’exprime en tant que président responsable de l’assemblée et propose une solution de compromis, un consensus acceptable par tous. Il se rallie à la position de Pierre qu’il appelle étrangement « Siméon ». Son point de vue : la circoncision ne s’impose pas pour les païens devenant chrétiens, mais certains interdits par rapport aux pratiques païennes, oui. Conclusion des débats : l’assemblée décide de porter une lettre aux chrétiens d’Antioche, dont voici la teneur et que nous lisons ce dimanche :
Alors les Apôtres et les Anciens décidèrent avec toute l’Église
de choisir parmi eux des hommes
qu’ils enverraient à Antioche avec Paul et Barnabé.
C’étaient des hommes qui avaient de l’autorité parmi les frères :
Jude, appelé aussi Barsabbas, et Silas.
Voici ce qu’ils écrivirent de leur main :
« Les Apôtres et les Anciens, vos frères, aux frères issus des nations,
qui résident à Antioche, en Syrie et en Cilicie, salut !
Attendu que certains des nôtres, comme nous l’avons appris,
sont allés, sans aucun mandat de notre part,
tenir des propos qui ont jeté chez vous le trouble et le désarroi,
nous avons pris la décision, à l’unanimité,
de choisir des hommes que nous envoyons chez vous,
avec nos frères bien-aimés Barnabé et Paul,
eux qui ont fait don de leur vie pour le nom de notre Seigneur Jésus Christ.
Nous vous envoyons donc Jude et Silas,
qui vous confirmeront de vive voix ce qui suit :
L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé
de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci, qui s’imposent :
vous abstenir des viandes offertes en sacrifice aux idoles,
du sang, des viandes non saignées et des unions illégitimes.
Vous agirez bien, si vous vous gardez de tout cela. Bon courage ! »
Ac 15, 1-2.22-29
Quelques remarques sur ce « concile » de Jérusalem.
D’abord au sujet du conflit qui en est l’occasion. Il se greffe sur une question qui s’est posée dans l’Église dès ses commencements, puis plus tard, dans des moments de grandes mutations, et qui se pose encore aujourd’hui de manière très vive. Il s’agit du rapport entre l’Évangile et les religions ainsi que les cultures des peuples où il est annoncé. Jésus est né dans une culture et une religion juives dont il a assumé les Écritures et la Loi, les pratiques rituelles, mais en critiquant certaines de leurs dérives. Il a même contrevenu à certaines prescriptions, concernant par exemple, la pureté corporelle, le contact avec les non-juifs, les prescriptions sabbatiques, les rapports homme-femme. Le non-respect des traditions lui a valu un procès et même la mort.
Il a proclamé que l’Évangile du salut qu’il est venu annoncer concerne l’humanité de tous les temps et de toutes les cultures. Une nécessité s’impose donc à son Église : toute évangélisation comporte une inculturation, c’est-à-dire une négociation, une adaptation, pour que chaque peuple entende l’Évangile, le comprenne et l’intègre dans sa propre langue, sa propre culture, voire sa propre religion. Cette assemblée de Jérusalem nous indique que deux aspects sont toujours à prendre en compte dans une démarche d’évangélisation.
En premier lieu, de la part de ceux qui annoncent l’Évangile. Ils doivent être conscients qu’ils ne l’annoncent pas de manière pure et intemporelle. Comment s’est posée au cours de l’histoire et se pose encore cette question aujourd’hui ? Les catholiques romains annoncent et proposent l’Évangile dans une langue, un dogme, des rites catholiques européens, romains. Mais faut-il s’approprier la culture romaine pour être chrétien ? D’où question : comment proposer, voire imposer l’Évangile, sans proposer ni imposer comme cela a été souvent le cas, l’enveloppe culturelle et religieuse dans laquelle il a pris corps ? Ne doit-on pas plutôt demander à ceux à qui l’on s’adresse, de traduire et d’exprimer eux-mêmes la Bonne Nouvelle dans leur propre culture ?
Mais ceux-ci à leur tour ne doivent-ils pas chercher en quoi l’Évangile remet en cause certains aspects de leur culture, de leurs valeurs religieuses ou morales ? Ils doivent s’inspirer pour cela de la manière dont Jésus a lui-même remis en cause les dérives de sa propre religion. Lors du concile Vatican 2, l’Église catholique a entrepris largement ce travail d’inculturation, notamment dans la constitution « Gaudium et spes ». Dès son ouverture Jean XXIII avait déclaré : « Il faut que l’Église se tourne vers les temps présents qui entraînent de nouvelles situations, de nouvelles formes de vie, et ouvrent de nouvelles voies à l’apostolat catholique. (…) Le précieux trésor de la foi, (…) nous ne devons pas seulement le garder comme si nous n’étions préoccupés que du passé, mais nous devons nous mettre joyeusement, sans crainte, au travail qu’exige notre époque, en poursuivant la route sur laquelle l’Église marche depuis près de vingt siècles. »
C’est dans la même perspective que le pape François rappelle au début de son exhortation apostolique Amoris laetitia (§3) qui a conclu les deux synodes sur la Famille, que « tous les débats doctrinaux, moraux ou pastoraux ne doivent pas être tranchés par des interventions magistérielles. Dans chaque pays ou région, peuvent être cherchées des solutions plus attentives aux traditions et aux défis locaux car les cultures sont très diverses entre elles et chaque principe général a besoin d’être inculturé, s’il veut être observé et appliqué. »
Le récit de Luc nous éclaire sur le fonctionnement de l’Église à ses débuts. Quand il y a crise, il y a convocation d’une assemblée, consultations, débats, délibérations, négociations et décisions prises avec toute l’Église. Il y a aussi choix de délégués, exercice de l’autorité, mandat confié par les apôtres et les anciens, invocation à l’Esprit pour prendre des décisions. Ce texte des Actes atteste que dès les premiers temps de son existence, l’Église n’est ni anarchique, ni monarchique, mais synodale et qu’en elle il y a déjà des fonctionnements que nous pourrions qualifier aujourd’hui de démocratiques. Reste cependant toujours l’exigence première de la fidélité à l’Esprit Saint et la référence à l’Évangile.
Dans l’Évangile selon saint Jean au chapitre 14, nous revivons les derniers instants de la vie de Jésus avant sa Passion. Il parle de son départ vers le Père, mais il promet à quiconque l’aimera que le Père et lui viendront chez lui, demeureront auprès de lui. Il leur promet que le Père leur enverra en son nom l’Esprit saint qui leur enseignera toutes choses et leur fera souvenir de tout ce qu’il leur a dit et il ajoute :
Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera,
nous viendrons vers lui et, chez lui,
nous nous ferons une demeure.
Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles.
Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi :
elle est du Père, qui m’a envoyé.
Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ;
mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom,
lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.
Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ;
ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne.
Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé.
Vous avez entendu ce que je vous ai dit :
Je m’en vais, et je reviens vers vous.
Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père,
car le Père est plus grand que moi.
Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ;
ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez.
Jn 14 23-29
Dans l’Apocalypse du même saint Jean, nous poursuivons la lecture du chapitre 21 entamée dimanche dernier. Nous sommes projetés à la fin des temps et à la réalisation de la promesse de Jésus, l’habitation plénière de Dieu au milieu de l’humanité.
Moi, Jean, j’ai vu un ange.
En esprit, il m’emporta sur une grande et haute montagne ;
il me montra la Ville sainte, Jérusalem,
qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu :
elle avait en elle la gloire de Dieu ;
éclat était celui d’une pierre très précieuse, comme le jaspe cristallin.
Elle avait une grande et haute muraille,
avec douze portes et, sur ces portes, douze anges ;
des noms y étaient inscrits : ceux des douze tribus des fils d’Israël.
Il y avait trois portes à l’orient, trois au nord, trois au midi, et trois à l’occident.
La muraille de la ville reposait sur douze fondations
portant les douze noms des douze Apôtres de l’Agneau.
Dans la ville, je n’ai pas vu de sanctuaire, car son sanctuaire,
c’est le Seigneur Dieu, Souverain de l’univers, et l’Agneau.
La ville n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer,
car la gloire de Dieu l’illumine : son luminaire, c’est l’Agneau.
Ap 10-14.22-23
Voilà trois belles images de l’Eglise. Celle des disciples de Jésus, accueillant sa parole et recevant de lui sa mission. Elle se présente comme une demeure en communion avec le Père, accueillant le souffle de l’Esprit Saint. Comme l’Eglise apostolique en perpétuelle réforme pour servir le monde en fidélité à l’Evangile au fil de son histoire. Comme l’Eglise glorieuse, sanctuaire de Dieu.
Evangile selon saint Jean – Jn14, 23-29