Le pape Jean-Paul II en l’an 2000 avait demandé que ce 2e dimanche de Pâques soit appelé le dimanche de la « divine miséricorde », en s’inspirant de la prière d’ouverture de la messe qui s’adresse au « Dieu de miséricorde infinie » : « Comme les Apôtres autrefois, écrivait-il, il est nécessaire que l’humanité d’aujourd’hui accueille elle aussi dans le cénacle de l’histoire, le Christ ressuscité qui montre les blessures de sa crucifixion et répète : Paix à vous ! Il faut que l’humanité se laisse atteindre et imprégner par l’Esprit que le Christ ressuscité lui donne. C’est l’Esprit qui guérit les blessures du cœur, abat les barrières qui nous éloignent de Dieu et divisent les hommes entre eux, qui restitue la joie de l’amour du Père et celle de l’unité fraternelle. »
Trois expériences pascales vécues dans l’Église naissante nous sont présentées par les textes de ce dimanche. D’abord dans l’Evangile de Jean, deux rencontres avec Jésus ressuscité, vécues par les disciples de Jésus le soir d’après sa mort.
Le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
étaient verrouillées par crainte des Juifs,
Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! »
Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.
Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous !
De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »
Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint.
À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ;
à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Un texte bref et dense. Jésus vient, il est au milieu des disciples. Paralysés par la peur, ils se sont enfermés et ont verrouillé leurs portes. Il leur dit : « Paix à vous » et leur montre les traces de ses blessures de crucifié. Et voilà que ces traces qui pour eux étaient honteuses et signifiaient la ruine de leurs espoirs, guérissent les blessures de leur cœur et les remplissent soudain de joie. Elles attestent pour eux jusqu’où était allé la miséricorde de Dieu en la mort de son Fils. Jésus alors leur communique son souffle. Ce souffle de l’Esprit qui avait reposé sur lui et l’avait envoyé accomplir les œuvres de miséricorde de Dieu : libérer, guérir, porter la bonne nouvelle du pardon. Ce souffle, il le transmet à cette petite dizaine d’hommes apeurés. Ils sont détenteurs désormais des clés de la miséricorde de Dieu, et appelés à accomplir les mêmes œuvres de miséricorde que Jésus. Mais deux de leurs amis sont absents. Judas qui a trahi et n’a pas cru au pardon, et Thomas, qui n’a pas digéré la crucifixion de Jésus.
Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau),
n’était pas avec eux quand Jésus était venu.
Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! »
Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous,
si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous,
si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison,
et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées,
et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! »
Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ;
avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. »
Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois.
Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits
en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre.
Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ,
le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom. Jn 19-31
Le geste de toucher du doigt et des mains les plaies de son ami crucifié bouleverse le cœur de Thomas. Lors du décès de Lazare, il avait invité ses amis à accompagner Jésus dans sa mort. « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui ! » leur avait-il dit (Jn 11,16). Mais après sa Passion il répugnait à les accompagner dans leur foi en sa résurrection. L’incrédulité de Thomas permet à l’évangéliste de réaliser un double objectif. Il insiste d’abord sur les marques des blessures du Christ : Jésus ressuscité est bien Jésus crucifié. C’est bien l’élévation du Christ sur la croix qui révèle la divine miséricorde du Père et invite à contempler sa gloire. De plus, saint Jean révèle que la foi retrouvée de Thomas, le disciple incrédule, va au-delà de celle des disciples. En effet, il donne à Jésus le titre le plus grand de tout l’Évangile en lui disant : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Ce titre exprime le sommet de la théologie chrétienne. Entre « le Verbe qui était Dieu » du commencement de l’Evangile selon saint Jean et Jésus déclaré à la fin « Seigneur et Dieu » par Thomas, tout est dit. » Jésus proclame ensuite la Béatitude dernière : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ».
Le passage des Actes des Apôtres écrit plusieurs années après la mort de Jésus offre un tout autre visage de l’Église. Elle vit une nouvelle expérience pascale. Ses portes ne sont plus verrouillées, l’Esprit de Jésus a soufflé sur le groupe des croyants, et aussi des croyantes – Luc ne manque pas souligner leur conversion – qui s’agrandit. La puissance de Dieu se révèle comme une puissance de vie, de communion et une puissance de guérison.
A Jérusalem par les mains des Apôtres,
beaucoup de signes et de prodiges s’accomplissaient dans le peuple.
Tous les croyants, d’un même cœur, se tenaient sous le portique de Salomon.
Personne d’autre n’osait se joindre à eux ;
cependant tout le peuple faisait leur éloge ;
de plus en plus, des foules d’hommes et de femmes,
en devenant croyants, s’attachaient au Seigneur.
On allait jusqu’à sortir les malades sur les places,
en les mettant sur des civières et des brancards :
ainsi, au passage de Pierre, son ombre couvrirait l’un ou l’autre.
La foule accourait aussi des villes voisines de Jérusalem,
en amenant des gens malades ou tourmentés par des esprits impurs.
Et tous étaient guéris. Ac 5 12-16
La miséricorde active de Dieu agit sur les cœurs et sur les corps. Dieu agit par les mains des Apôtres. La description de ces foules qui viennent, des malades et possédés qu’on amène là pour qu’ils soient guéris, évoquent les débuts du ministère de Jésus. Les signes du salut, les œuvres de miséricorde sont les mêmes ; c’est le recul de toutes les forces de mort, la libération des puissances de vie de salut. Celles-ci se manifestent pour ainsi dire de façon plus merveilleuse encore qu’au temps du ministère galiléen : » l’ombre » de Pierre suffit pour qu’elle agisse.
Encore une autre Pâque dans le texte de l’Apocalypse. Elle est proche de celle qu’a vécue Jésus, et de ce vit l’Eglise aujourd’hui. Des communautés chrétiennes sont nées et vivent en terre païenne. Elles ont à mener un double combat.
Moi, Jean, votre frère, partageant avec vous la détresse,
la royauté et la persévérance en Jésus,
je me trouvai dans l’île de Patmos à cause de la parole de Dieu
et du témoignage de Jésus.
Je fus saisi en esprit, le jour du Seigneur,
et j’entendis derrière moi une voix forte, pareille au son d’une trompette.
Elle disait : « Ce que tu vois, écris-le dans un livre et envoie-le aux sept Églises.
Je me retournai pour regarder quelle était cette voix qui me parlait.
M’étant retourné, j’ai vu sept chandeliers d’or,
et au milieu des chandeliers un être qui semblait un Fils d’homme,
revêtu d’une longue tunique, une ceinture d’or à hauteur de poitrine ;
Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort,
mais il posa sur moi sa main droite, en disant :
« Ne crains pas. Moi, je suis le Premier et le Dernier,
le Vivant : j’étais mort, et me voilà vivant pour les siècles des siècles ;
je détiens les clés de la mort et du séjour des morts.
Écris donc ce que tu as vu, ce qui est, ce qui va ensuite advenir. Ap 1 9-11 12-13
Compagnon et frère des membres des sept Églises, exilé de force peut-être, Jean se présente comme un prophète qui annonce et révèle le triomphe de Dieu malgré le déferlement des forces du mal contre les chrétiens. Le premier combat qu’ils ont à mener est celui de l’endurance dans la persécution. Il les exhorte à tenir ferme, à durer et à endurer, au cœur des souffrances qu’ils subissent. Le second est celui de la résistance spirituelle : il les invitera à ne pas se laisser séduire par les mœurs et les valeurs du monde païen, et à ne pas laisser tiédir en eux le message et la force de l’Évangile.
Evangile selon saint Jean – Jn20, 19-31