Parmi les textes divers des Evangiles, ceux des paraboles restent toujours d’actualité dans l’histoire humaine. Mais qu’il s’agisse du plan personnel, local, national ou mondial, la parabole du riche et de Lazare frappe fort en ces moments difficiles et dangereux que nous vivons. Elle est rejointe par ce que disent le prophète Amos et saint Paul.
Jésus disait cette parabole : « Il y avait un homme riche,
qui portait des vêtements de luxe et faisait chaque jour des festins somptueux.
Un pauvre, nommé Lazare, était couché devant le portail, couvert de plaies.
Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ;
mais c’étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses plaies.
Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham.
Le riche mourut aussi, et on l’enterra.
Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; il leva les yeux
et vit de loin Abraham avec Lazare tout près de lui.
Alors il cria : ´Abraham, mon père, prends pitié de moi
et envoie Lazare tremper dans l’eau le bout de son doigt
pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise.
Curieusement, dans cette parabole, le pauvre a un nom : Lazare, mais le riche n’en a pas. Tous deux meurent, et saint Luc accentue encore la différence entre eux. Le pauvre est emporté par les anges auprès d’Abraham, et le riche est tout simplement enterré. Une élévation et une exaltation pour le pauvre, et la poussière du néant pour le riche.
L’évangile présente un monde à l’envers, ou plutôt un monde à l’endroit. L’anonymat est ici pour le riche. C’est le pauvre qui reste porteur encore d’un peu d’humanité et donc digne que l’on garde mémoire de son nom, alors que celui du riche sombrera dans les abîmes de l’oubli. L’homme riche fait mauvais usage de sa richesse. Il a vécu tellement rivé aux biens de la terre, à l’argent trompeur que ceux-ci l’ont trompé et rendu aveugle (rappelons-nous l’évangile de dimanche dernier). Il se croit à l’abri derrière sa richesse, et ne voit pas que celle-ci l’a englouti, qu’elle a fait son malheur, qu’elle l’a rendu aveugle et sourd, incapable de voir à sa porte son frère en humanité mourant de faim et de misère. Elle a creusé entre Dieu et lui un abîme infranchissable, une incapacité à découvrir le Dieu de la grâce et de la tendresse. Plus dur de cœur que ce chien qui, lui au moins, soulage les plaies de Lazare.
Le message de cette parabole est le même que celui du psaume 48 :
L’homme comblé ne dure pas : il ressemble au bétail qu’on abat.
Tel est le destin des insensés et l’avenir de qui aime les entendre :
troupeau parqué pour les enfers et que la mort mène paître.
A l’aurore, ils feront place au juste dans la mort, s’effaceront leurs visages :
pour eux, plus de palais !
Mais Dieu rachètera ma vie aux griffes de la mort : c’est lui qui me prendra.
Ne crains pas l’homme qui s’enrichit, qui accroît le luxe de sa maison :
aux enfers il n’emporte rien ; sa gloire ne descend pas avec lui.
De son vivant, il s’est béni lui-même : « On t’applaudit car tout va bien pour toi ! »
Mais il rejoint la lignée de ses ancêtres qui ne verront jamais plus la lumière.
L’homme comblé qui n’est pas clairvoyant ressemble au bétail qu’on abat.
Abraham est un personnage central dans la parabole : son nom y revient sept fois. Il est le père des croyants, la figure du juste qui a mis sa confiance en Dieu, a cru à la grâce et accepté l’alliance avec Dieu. C’est auprès d’Abraham le juste, que le pauvre Lazare est emporté, tandis que le riche ne le voit que de loin. Une incompatibilité s’est installée et s’est creusée entre son attitude et celle Abraham. Entre sa logique d’homme riche qui a mis sa confiance en ses biens et celle d’Abraham qui a mis sa confiance en Dieu. Par l’usage qu’il a fait de ses biens, le riche insensé a trahi l’Alliance avec Dieu et choisi comme alliée la richesse qui le conduit au néant. Il n’est plus digne d’être appelé fils d’Abraham.
Pourtant cet homme se considère comme tel et se réclame de lui. Il le supplie d’intervenir auprès de ses frères pour qu’ils se convertissent et reprennent le chemin de la justice et du partage. Sa prière est celle d’un homme riche : il s’imagine que pour lui Abraham fera une faveur, et qu’il enverra Lazare auprès de ses frères. Il se croit prêt peut être à payer le prix : les passe-droits et les faveurs, les riches n’en ont-ils pas l’habitude entre eux ? Cet homme voyait Lazare gisant à sa porte, mais cela n’a pas ouvert en son cœur les portes de la compassion. Comment un Lazare revenu du ciel pourrait-il convertir ses frères, sans doute riches comme lui ?
La réponse d’Abraham est sèche et lapidaire. Ils ont la Loi et les prophètes ; qu’ils les écoutent. S’ils ne les écoutent pas, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus. Réponse terrible d’Abraham. Ceux qui sont indifférents aux souffrances des autres ont choisi des chemins qui conduisent à la mort. Le prophète Amos comme dans son texte de dimanche dernier n’y va pas de main morte pour dénoncer leur perversité, et le scandale des corruptions qui règnent dans les capitales religieuses mêmes du peuple d’Israël !
Malheur à ceux qui vivent bien tranquilles dans Jérusalem,
et à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie.
Couchés sur des lits d’ivoire, vautrés sur leurs divans,
ils mangent les meilleurs agneaux du troupeau, les veaux les plus tendres ;
ils improvisent au son de la harpe,
ils inventent, comme David, des instruments de musique ;
ils boivent le vin à même les amphores, ils se frottent avec des parfums de luxe,
mais ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël !
C’est pourquoi maintenant ils vont être déportés,
ils seront les premiers des déportés ; et la bande des vautrés n’existera plus.
Comment prendre à notre compte le message de la parabole de ce dimanche ? Sur le plan personnel, chacun peut s’interroger sur son attitude vis-à-vis des « Lazare » qui tout près de lui souffrent de toutes sortes de blessures. Sur le plan national : dans notre pays les écarts entre les plus riches et les plus pauvres ne cessent de grandir. Sur le plan international, chaque nation peut se demander si sa richesse ne l’aveugle pas par rapport à la pauvreté extrême de peuples qui meurent de faim et de misère à sa porte et qui désespérés, tentent par tous les moyens de s’y rendre. Sur le plan spirituel enfin, soyons d’authentiques fils d’Abraham et disciples du Christ, comme le recommande Paul à Timothée en ajoutant éventuellement le passage de l’épître qui précède le texte du missel, car il confirme avec force le message de Jésus dans l’Evangile.
De même que nous n’avons rien apporté dans ce monde,
nous n’en pourrons rien emporter.
Si nous avons de quoi manger et nous habiller,
sachons nous en contenter.
Ceux qui veulent s’enrichir tombent dans le piège de la tentation,
dans une foule de convoitises absurdes et dangereuses,
qui plongent les gens dans la ruine et la perdition.
Car la racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent.
Pour s’y être attachés, certains se sont égarés loin de la foi
et se sont infligé à eux-mêmes des tourments sans nombre.
Mais toi, homme de Dieu, fuis tout cela ;
recherche la justice, la piété, la foi, la charité, la persévérance et la douceur.
Mène le bon combat, celui de la foi, empare-toi de la vie éternelle !
C’est à elle que tu as été appelé, c’est pour elle que tu as prononcé
ta belle profession de foi devant de nombreux témoins.
Et maintenant, en présence de Dieu qui donne vie à tous les êtres,
et en présence du Christ Jésus qui a témoigné devant Ponce Pilate
par une belle affirmation, voici ce que je t’ordonne :
garde le commandement du Seigneur, en demeurant sans tache,
irréprochable jusqu’à la Manifestation de notre Seigneur Jésus Christ.
Évangile : selon saint Luc – Lc 16, 19-31