Il est intéressant de replacer dans le contexte où ils ont été écrits les extraits bibliques que la liturgie nous propose chaque dimanche, Quels étaient pour leurs auteurs les signes des temps, et que vivaient-ils eux-mêmes et que vivaient leurs destinataires ? Voyaient-ils la vie en rose, comme nous y invite la liturgie de ce 3e dimanche de l’Avent qualifié traditionnellement de dimanche de la joie. L’unique dimanche où les vêtements liturgiques sont roses.
Le prophète Sophonie vivait au 7e s. avant le Christ (vers 630). Israël ainsi que tous les petits états du Proche-Orient subissaient la domination assyrienne : occupation et pillage, mais aussi transformation de l’organisation politique et économique de ces États, ce qui contribua à marquer les pratiques dans le peuple occupé. Résistance cependant de la part d’Israël sur bien des points. On trouve dans le livre de Sophonie les pages parmi les plus sombres du Premier Testament. Le prophète va consacrer sa vie à tenter de remettre dans le droit chemin les israélites qui se laissent influencer par les païens, leur culture et leur religion. Ceux qui résisteront et seront fidèles à la Loi constitueront un « petit reste » de gens humbles et pauvres dont la mission sera de convertir le peuple d’Israël, de lui rappeler sa mission et de lui donner un avenir. Ce sont eux qui, ne baissant pas les bras, resteront fidèles à l’Alliance et garderont vive l’espérance d’Israël. Avec force, le prophète invite ce petit reste à se réjouir de la joie de Dieu qui l’aime et le soutient. N’y aurait-il pas en tout ce contexte, des ressemblances avec notre temps, particulièrement avec les épreuves que traverse l’Eglise ?
Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations, Israël !
Réjouis-toi, de tout ton cœur bondis de joie, fille de Jérusalem !
Le Seigneur a levé les sentences qui pesaient sur toi,
il a écarté tes ennemis. Le roi d’Israël, le Seigneur, est en toi.
Tu n’as plus à craindre le malheur.
Ce jour-là, on dira à Jérusalem : « Ne crains pas, Sion !
Ne laisse pas tes mains défaillir !
Le Seigneur ton Dieu est en toi, c’est lui, le héros qui apporte le salut.
Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ;
il exultera pour toi et se réjouira,
comme aux jours de fête. So 3 14-18a
Avec saint Paul, nous voilà en Grèce dans la ville de Philippes, quelque 25 ans après la mort de Jésus. La situation des chrétiens n’y est guère brillante. Ils sont une communauté minuscule dans un monde païen et hostile. C’est là qu’aura lieu la première prédication de Paul en ce pays qui sera bien plus tard européen. Il y connaîtra le rejet, et même fera un séjour en prison. Quand il écrit sa lettre, la petite communauté de païens convertis lui est chère, mais elle connaît des jours sombres. Pourtant, parmi ses épîtres, c’est celle à laquelle il écrit des pages magnifiques pour exprimer le cœur de la foi chrétienne. Pour s’adresser aux Philippiens il adoptera le ton le plus familier, affectueux et fraternel. Comme Sophonie, dans l’extrait de sa Lettre que nous lisons aujourd’hui, il invite lui aussi le petit reste qu’est la communauté chrétienne de Philippes à vivre dans la joie.
Frères, soyez toujours dans la joie du Seigneur
je le redis : soyez dans la joie.
Que votre bienveillance soit connue de tous les hommes.
Le Seigneur est proche.
Ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance,
priez et suppliez, tout en rendant grâce,
pour faire connaître à Dieu vos demandes.
Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir,
gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus.
soyez toujours dans la joie du Seigneur ;
laissez-moi vous le redire : soyez dans la joie.
Que votre sérénité soit connue de tous les hommes.
Le Seigneur est proche. Ne soyez inquiets de rien,
mais, en toute circonstance, dans l’action de grâce priez et suppliez
pour faire connaître à Dieu vos demandes.
Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer,
gardera votre cœur et votre intelligence dans le Christ Jésus. Ph 4 4-7
Avec saint Luc, nous revenons en Palestine, au temps de Jean Baptiste. Nous avons évoqué dimanche dernier le contexte dans lequel il invitait à la conversion les foules qui venaient se faire baptiser par lui. Tous lui posaient une seule et même question.
Les foules qui venaient se faire baptiser par Jean lui demandaient :
« Que devons-nous donc faire ? »
Jean leur répondait : « Celui qui a deux vêtements,
qu’il partage avec celui qui n’en a pas ;
et celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même ! »
Des publicains (c’est-à-dire des collecteurs d’impôts)
vinrent aussi pour être baptisés ; ils lui dirent :
« Maître, que devons-nous faire ? »
Il leur répondit : « N’exigez rien de plus que ce qui vous est fixé. »
Des soldats lui demandèrent à leur tour :
« Et nous, que devons-nous faire ? »
Il leur répondit : « Ne faites violence à personne,
n’accusez personne à tort ; et contentez-vous de votre solde. »
Aujourd’hui, les signes des temps ne sont guère plus favorables qu’au temps de Sophonie, de Paul ou de Jean Baptiste. Certaines attentes sont plus noires que roses, pour ceux qui vivent dans l’angoisse et subissent toutes sortes d’épreuves. D’autres sont grises en ce qui concerne la santé, les conditions et le manque de travail, les évolutions du monde. La foi du petit reste que sont les chrétiens se vit dans un océan d’indifférence, de dérision et même parfois d’hostilité. La joie de croire, d’espérer devient un véritable défi, et les témoignages de Sophonie ou de Paul font du bien aux « petits restes » d’aujourd’hui. Le témoignage de Jean Baptiste est du même ton : il invite à assumer le réel de manière positive même si les temps sont difficiles.
À la même question que tous posent à Jean, ses réponses ne sont pas des invitations à une joie béate mais des appels à vivre autrement le plus concret des actions quotidiennes. Elles ne portent pas sur des idées à proclamer ou à combattre. Elles ne concernent pas les pratiques religieuses mais portent sur le comportement social de l’homme. Elles n’imposent ni sacrifice pour le péché ni pratique ascétique ou cultuelle ; tous sont requis d’assister le nécessiteux, d’être honnête et équitable dans l’exercice de leur métier ou de leur fonction. Ce sont là des exigences qui débordent la Loi de Moïse et s’imposent donc à tous, païens comme juifs. La nécessité de la conversion est universelle, car par elle « tout homme verra le salut de Dieu » (v.6). Les foules sont les premières en scène. Jean invite tous ceux qui viennent à lui à vivre autrement dans le plus concret de leur situation. Il invite d’abord les personnes les plus riches à partager vêtements et nourriture. Il invite ensuite les collecteurs d’impôts à arrêter leurs pratiques de corruption et leur exploitation des pauvres. Il demande enfin aux soldats de cesser leurs pratiques de violence, de terreur et surtout de pillage. Après ces recommandations de Jean, saint Luc poursuit son récit.
Or, le peuple était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes
si Jean n’était pas le Messie.
Jean s’adressa alors à tous : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ;
mais il vient, celui qui est plus puissant que moi.
Je ne suis pas digne de défaire la courroie de ses sandales.
Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu.
Il tient à la main la pelle à vanner pour nettoyer son aire à battre le blé,
et il amassera le grain dans son grenier ; quant à la paille,
il la brûlera dans un feu qui ne s’éteint pas. » Lc 3 10-18
Luc compare le baptême de Jean à celui de Jésus. Jean baptise dans l’eau pour la conversion, tandis que l’eau du baptême au nom de Jésus sera porteuse de l’Esprit Saint. Celui-ci est comme un feu qui brûle les péchés, qui brûle la paille pour ne garder que le grain. Il est aussi le feu du jugement, car la foi en la parole et en la personne de Jésus est la condition pour reconnaître et accueillir la joie de Dieu.
Prolongeons notre méditation avec le Père Varillon. « La vocation à la joie est en nous plus forte que le mal. N’est-ce pas parce que nous sommes faits pour la joie, parce que notre vocation est le bonheur, que nous protestons contre le mal et la souffrance ? J’affirme que si notre vocation gravée au cœur de notre conscience, n’était pas une vocation à la joie, notre indignation contre le mal et la souffrance ne serait pas ce qu’elle est.
La révolte de la conscience devant le mal serait une absurdité si elle ne s’enracinait pas dans une certitude. A moins de se résigner à l’absurdité de nos aspirations les plus fondamentales vers la justice, le bien, l’amour, la fraternité, à moins d’accepter de dire que tout cela n’est qu’illusion, il faut bien admettre, derrière le refus ou le scandale du mal, qu’une aspiration est en nous, qui d’une certaine manière, nous assure déjà que le mal est surmonté.
Par le salut proposé en Jésus Christ, c’est, en définitive, la Joie qui sera victorieuse. Le Christ nous dit bien : « Je veux que là où je suis, vous soyez avec moi » (Jn 14, 3). Divinisés, introduits au cœur même de la Trinité, participant à ces relations d’amour qui sont celles des Trois Personnes, nous nous donnerons les uns aux autres le Don que les Trois Personnes se font d’Elles-mêmes, l’une à l’autre. Notre joie sera la Joie même de Dieu. »
Joie de vivre, joie de croire Bayard p.272
Evangile selon saint Luc – Lc 3, 10-18