Fétés le 18 novembre
A l’extrême pointe nord ouest du Léon, en face de Portsall, des vestiges imposants d’une antique forteresse : le château de Trémazan, défendant contre les pirates le meilleur accès du pays. Vers 520, le maître en est Golon ; sa femme est brestoise et meurt trop tôt en laissant deux enfants, Gurguy et Haude. Golon, en secondes noces, épouse une femme de la Bretagne insulaire, qi a été déformée par l’hérésie pélagienne : une vraie marâtre pour les enfants.
Au bout de huit ans de ce régime, Gurguy, se sentant de taille à se débrouiller, prend le large ; et, avec l’accord de son père, file par Cherbourg jusqu’à la cour de Childebert, roi de Neustrie, où il pourra parfaire son éducation de chevalier. Toute l’humeur de la marâtre tombe alors sur la seule Haude, condamnée aux plus basses besognes « en haine de sa vertu et spécialement de sa religion. Elle luy osta son cabinet et Oratoire, congédia la plupart de ses damoiselles et servantes pour l’obliger à faire le service de la maison, même de la cuisine, puiser l’eau et balaïer les salles et chambres. Quand on sonnoit la Messe en la chapelle du Chasteau, elle l’occupoit expressement à quelque service, pour la priver de cette consolation de son Ame ; et néanmoins, jamais la sainte fille ne s’en offensa, et ne luy échappa jamais parole d’impatience, mescontentement ou murmure. »
Ne pouvant prier le jour, elle priait la nuit ; et « elle résolut de prendre Jésus-Christ pour unique époux de son Ame. Elle étoit si pitoyable vers les pauvres que, voyant que sa marastre avoit retranché les charitez et aumônes qu’on faisoit du vivant de sa defunte mere, elle retranchoit de son ordinaire pour leur bailler, se contentant pour soy de gros pain sec et de viandes grossières. »
Le jour vint où les jeunes seigneurs des environs, en quête de fiancée, songeant à tenter leur chance, multiplièrent les visites au château, ce qui accrut le dépit et la haine de la marâtre. Elle expédia Haude à la campagne dans une sienne métairie, ce dont la jeune fille, retrouvant quelque liberté de prière, se réjouit grandement. Et son exemple attira plusieurs filles au service de Dieu.
Elle y était depuis deux ans quand Gurguy revint au pays « en tel équipage qu’on ne le pouvoit connaître. » Il est accueilli au château ; et, ne voyant pas sa soeur dans la salle où plusieurs jeunes filles étaient assemblées, en demande des nouvelles. La marâtre, croyant avoir affaire à un nouveau prétendant, se met à en dire tout le mal qu’elle peut, assurant qu’elle avait dû l’éloigner à cause de sa conduite scandaleuse. Gurguy la crut, sortit à la recherche de sa soeur et la trouva lavant du linge à un « doué ».
Voyant ce bel inconnu, Haude s’enfuit aussitôt, ce qui parut à Gurguy comme un aveu et une peur du châtiment. Vexé pour l’honneur de sa maison, il la poursuit, la rattrape, et sans plus réfléchir, la décapite.
Il a vite fait d’apprendre des voisins la vérité ; et, fou de douleur, il court avouer son crime à son père, cependant que la marâtre semblait, elle, se réjouir. C’est alors qu’entra dans la salle, Haude « tenant sa teste en ses mains, laquelle ayant posée sur son col se réunit à son tronc ; merveille qui estonna toute l’assistance. »
Elle remit aussitôt les choses au point, dit qu’elle avait prié Dieu pour son frère, qui ne savait pas ce qu’il faisait et annonça à la marâtre endurcie dans le mal le châtiment proche. Cette mégère fut aussitôt saisie de convulsions, se déchira le ventre et fut incontinent foudroyée par un coup de tonnerre, qui effraya l’assistance. Haude, ayant pardonné à son frère et reçu les sacrements « rendit son heureux esprit le 18 novembre de l’an de grâce 545. »
Gurguy partit à Occismor trouver Pol, évêque de Léon, pour se confesser et demander une pénitence : quarante jours de jeûne. Ol alla les accomplir dans une forêt proche de Landerneau, où Dieu pourvut à sa subsistance. Il revint rendre compte à Pol. L’évêque « et ceux qui l’accompagnaient virent sa teste environnée d’un globe de feu, dont ils furent bien estonnés. » Désormais, tu t’appelleras Tanguy (du breton « tan » qui signifie « feu », et « Gi » qui signifie « chien, guerrier »). Et Tanguy demanda de se retirer au monastère de l’Ile de Batz. Il y vécut en si grande sainteté que plus tard voulant faire une fondation à Gerber (au Relecq) dans la montagne, Pol y envoya Tanguy, en lui adjoignant douze moines prélevées aux monastères de Batz et Ouessant. Tanguy y fut l’homme charitable envers le prochain, rude envers lui-même, adonné à l’oraison.
Apprenant que faiblissait la santé de son père, il part à Trémazan , et son père lui donne des terres pour fonder des monastères s’il le jugeait à propos. C’est ainsi qu’il reçut le domaine de Penn ar Bed : la pointe du bout du monde. Et le vieillard trépassa. A ce moment selon Albert Le Grand (mais en 825, selon Dom Lobineau) le chef de St Matthieu, subtilisé en Egypte par des marins, arriva à cette « Fine terre », à la suite d’un naufrage, où les marins furent miraculeusement sauvés.
D’accord avec l’évêque Pol, la construction d’un monastère y fut décidée. Des gens prudents trouvaient trop risquée la pointe elle-même et voulaient l’établir un peu plus dans les terres. Mais les murs que les maçons élevaient se trouvaient transférés le lendemain matin au bord de la falaise : il fallut bien y situer le monastère. Pol le bénit et prescrivit à Tanguy d’y transférer huit moines de l’abbaye de Gerber. Pol et Tanguy se rencontrèrent une dernière fois dans un bois près du Drennec, où leur fut révélée leur fin proche, qui écherrait à même date. Tanguy en avisa ses moines ; et, cependant que mourrait Pol en son monastère de Batz, trépassait Tanguy en celui de Gerber. Sa dépouille mortelle « fut reveremment portée de sondit Monastère de Gerber à celuy de Loc-Mazhé, où il fut ensevely dans le Cimetière que St Paul avoit bény, où Dieu a fait plusieurs Miracles par son intercession. » Sa mort est datée du 12 mars 594.
La souvenir de St Tanguy et de Ste Haude n’a pas totalement disparu : en dehors de la pointe St Matthieu et du Conquet, ils sont vénérés surtout à la chapelle de Kersaint, qui touche Trémazan. Et, même « la Tour Tanguy » qui, à Recouvrance, a survécu à la destruction de Brest, à supposer que le nom en soit dû à Tanneguy du Châtel, ce qui n’est pas sûr, rappelle aux Léonards la mémoire de celui qui le premier honora ce nom.