Béni soit le pain des pauvres !
Né au XIIIe siècle, Jean Discalcéat est plus connu sous le nom de Santig Du (le petit saint noir). Particulièrement honoré dans notre diocèse, c’est la voix du peuple qui a élevé cet humble Franciscain au rang de saint. « Vox populi… ». Située au cœur du Léon, la commune de Saint-Vougay peut s’enorgueillir d’avoir vu naître sur ses terres un personnage hors du commun (vers 1280). Il s’appelait Jean et venait d’une modeste famille de paysans.
Devenu très tôt orphelin, Yannig est pris à son service par un cousin exerçant la profession de maçon. Le jeune homme est cependant tenaillé par le désir de servir l’Église et son prochain. Il part alors suivre des études à Rennes, ville où il est ordonné prêtre. Nommé tout d’abord recteur d’une commune avoisinant Rennes, Saint-Grégoire (de 1303 à 1316), sa soif d’absolu le pousse à entrer dans l’ordre franciscain, au couvent des Cordeliers de Quimper.
C’est dans cette cité que le Frère Mineur aux pieds nus (discalcéat signifie déchaussé) pratique assidûment le jeûne et l’aumône, ne craint pas de rendre visite aux lépreux tout en cherchant sans cesse à soigner les corps tout autant que les âmes. Jean voue sa vie aux autres. Il lutte contre la pauvreté que ne manque pas d’aggraver la guerre de succession de Bretagne. Un autre fléau ne tarde pourtant pas à faire son apparition : la peste noire. Cette grande peste qui dévastera l’Europe et que « le petit saint noir » contracte à son tour auprès des malades qu’il n’hésite pas à assister. Celui dont la réputation de sainteté s’est très vite répandue meurt en 1349.
Une honorable piété populaire
santif duAussi bien de son vivant qu’après sa mort, des miracles lui ont été attribués. De la chapelle de son couvent, ses reliques ont plus tard été transférées à la cathédrale Saint-Corentin. Miraculeusement préservées durant la période révolutionnaire, ces reliques et une statue à son effigie (du XVIIe siècle) continuent d’attirer nombre de personnes qui viennent implorer l’intercession du saint pour des maux de tête, des objets perdus ou toute autre raison.
« Aux pieds de Santig Du, la tradition veut que l’on dépose du pain que des indigents viennent ensuite récupérer », commente Henri, un accueillant de la cathédrale. Ainsi, Jean Discalcéat contribue aujourd’hui encore à nourrir les pauvres dont il s’est occupé toute sa vie. Et si la cause en béatification du « petit saint noir » n’a jamais pu aboutir, son culte n’en demeure pas moins reconnu par l’Ordinaire du lieu.
« Jean Discalcéat est un saint populaire. Il ne figure pas au sanctoral de l’ordre franciscain », commente le frère Bernard Forthomme, historien et professeur de théologie au Centre Sèvres. Mais comme le rappelait Jean-Paul II dans son Directoire sur la piété populaire (en 2001), cette piété est loin d’être incompatible avec l’enseignement de l’Église. « Elle exprime au contraire une résistance à un certain rationalisme, enracine les hommes dans une tradition locale qui les préserve souvent d’une déculturation de la foi. Elle demeure un signe vivant du fond religieux que tout homme possède, quelque part en lui. »
Prière de Santig Du
La nuit au pied de son lit froid
Le petit saint noir se prosterne
L’hiver émiette un pain de son
Sur la table mal équarrie
Et Jean s’étonne que ses mains
Ravaudent la peine des hommes
S’offrent au pain quotidien
Que les pauvres vont mendier
Dans la rue où pestes et guerres
Peurs aussi des lèpres humaines
Fléaux ravageant de leurs maux
Poussent à la fuite à l’exil
Alentour et sous les vents forts
Moissons font landes et chardons
Alors que pourrit la campagne
L’aire est nue en ces temps de pluie
Qu’importe ! L’heure est incertaine
Jean Discalcéat se relève
Un souffle ou un signe l’appelle
Hors le jardin du prieuré
Sans peur aucune va nu-pieds
Il franchit la crainte et apaise
D’un don de force la souffrance
La grande souffrance des hommes
Au fond de leur gorge éreintée
Des femmes aux seins ravagés
Laissent à la douleur aller
Leur âme et leurs maigres enfants
Sûrement que les ciels désirent
Sauver enfin ce pauvre sol !
Et Santig du le tout aimant
Épuise la nuit de sa prière.
Jean-Pierre Boulic