Ac 3, 13-15. 17-19 ; Ps 4 ; 1 Jn 2, 1-5a ; Lc 24, 35-48
Frères et Sœurs,
Lorsque nous participons aux obsèques d’un proche, nous utilisons souvent des expressions du genre : « Il a rejoint les siens là-haut », « Maintenant, il ne souffre plus, il est heureux », « Il doit être heureux de nous voir réunis », etc., mais en même temps nous avons beaucoup de mal à imaginer ce que la personne, que nous aimons et qui nous a quitté, vit réellement alors même que nous descendons son cercueil au fond du caveau. C’est même tout à fait impossible de l’imaginer !
Pourtant, dans l’Évangile de ce jour, l’apparition de Jésus ressuscité donne à voir ce que sera notre résurrection. Notre espérance devient très concrète puisque Jésus a promis à ses disciples que nous vivrons avec lui et donc dans une relation corporelle qui ressemblera à celle que Jésus ressuscité a entretenue avec ses disciples. Il le dit lui-même dans l’Évangile selon saint Jean : « Là où je suis, vous y serez aussi. » (Jn 14, 3). Donc une vie commune vécue dans l’amour de Dieu.
Ce qui est dit du corps du Ressuscité nous éclaire. D’abord, nous ne serons pas comme des esprits perdus dans le Nirvana. « Un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai. » Jésus est bien vivant pour toujours avec un corps bien réel, il mange, on peut le toucher. Mais en même temps un corps totalement transfiguré. Un corps qui porte les marques de son sacrifice et du don de sa vie : « Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! » Il ne s’agit donc pas d’une réincarnation ! Il s’agit bien de Celui qui a donné sa vie sur la Croix !
De fait, nous proclamons dans le Credo que « nous croyons à la résurrection de la chair ». Mais le mot chair ici n’évoque pas le corps qui retourne à la poussière dans le tombeau. Saint Paul dit bien, en parlant de notre corps mortel, que « la chair et le sang sont incapables de recevoir en héritage le royaume de Dieu, et ce qui est périssable ne reçoit pas en héritage ce qui est impérissable. » (1 Co 15, 50). Autrement dit, une personne très âgée ne ressuscitera pas avec un corps usé par l’âge.
Notre corps doit donc être transfiguré par le souffle de Dieu créateur pour devenir impérissable. Donc, quand nous parlons de la résurrection de la chair, il s’agit bien de la personne tout entière dans ce qu’elle a d’éternel : la richesse infinie de ses relations familiales et amicales, sa personnalité, unique, aimée de Dieu, avec son histoire singulière, ses joies, ses épreuves, ses combats, ses réussites et ses échecs ! En un mot, l’amour qui a pris chair dans sa vie. L’amour de Dieu et l’amour des autres, avec aussi, évidemment sa part de péché et ses limites humaines, inéluctables.
En passant par la mort et la Résurrection, Jésus nous donne l’espérance de ressusciter corporellement nous aussi. Comme le disait Job : « De ma chair je verrai Dieu. Je le verrai, moi en personne, et si mes yeux le regardent, il ne sera plus un étranger. » (Jb 19, 26-27).
Jésus nous délivre du mal et de la mort gratuitement, par pur amour. Mais nous devons comprendre que cette espérance ne repose pas sur un droit acquis. Cet amour du Christ à notre égard appelle une réponse de notre part. L’amour de Dieu n’est pas à sens unique. L’amour trouve sa plénitude dans la réciprocité.
Saint Pierre, dans la première lecture l’exprime clairement : « Convertissez-vous donc et tournez-vous vers Dieu pour que vos péchés soient effacés ». Vos péchés, c’est-à-dire vos manques d’amour justement ! Et saint Jean précise que se tourner vers lui, c’est « garder ses commandements », c’est-à-dire mettre en œuvre dans notre vie ce que Jésus nous demande instamment dans l’Évangile.
Ce qui veut dire que notre espérance de ressusciter corporellement ne peut se concevoir que si nous faisons grandir dans notre vie d’ici-bas l’amour de Dieu et l’amour du prochain. C’est ainsi que « l’amour de Dieu atteint vraiment la perfection », nous dit saint Jean. N’est-ce pas cela le but de toute notre existence ? Ce que Dieu attend de nous justement ?
Le Temps pascal est un moment privilégié pour approfondir notre foi afin d’enraciner en nous cette espérance en prenant davantage conscience de notre dignité de Chrétien et de l’orientation décisive que cela donne à notre existence.
« C’est vous qui en êtes les témoins », dit Jésus. Et ce témoignage est particulièrement attendu par beaucoup de personnes en cette période si particulière où l’humanité se bat contre le coronavirus. Une épreuve pénible qui dure et qui touche à tout ce qui nous donne la joie de vivre : relations humaines, familiales, les études, notre vie ecclésiale, mais aussi la vie professionnelle, culturelle, sportive…
Plus que jamais, être témoin de l’espérance chrétienne a vraiment du sens en cette période. Nous pouvons être tentés de critiquer les mesures imposées, de nous plaindre, et pour certains peut-être de plonger dans le désespoir. Nous avons mieux à faire !
Notre témoignage de disciple est au contraire de rappeler qu’avec Jésus, vainqueur de la mort, notre humanité n’est pas en perdition et que le dessein de Dieu de sauver tous les hommes continue à se réaliser, même si notre passage par la Croix est inéluctable.
Cette espérance nous pousse à parler et à agir de façon positive et à imiter le Christ qui s’est fait le serviteur de tous en lavant les pieds de ses disciples. Je suis frappé par l’énergie déployée dans les paroisses et les services diocésains pour faire face à la pandémie en manifestant plus d’amour et de solidarité et en inventant tous les moyens pour annoncer l’Évangile et rejoindre ceux qui sont isolés, pour faire grandir l’espérance dans le cœur des personnes.
Je pense à la mission saint Luc à Brest où les étudiants et les jeunes professionnels se mobilisent pour nourrir depuis des mois une quarantaine d’étudiants démunis de tout. Mais de façon discrète aussi dans votre paroisse avec l’accompagnement des familles en deuil, la visite des malades, l’aide morale apportée aux personnes qui souffrent davantage de cette pandémie, et beaucoup d’autres initiatives.
Au fond, notre foi en la Résurrection de la chair est inséparable de la manière avec laquelle nous incarnons déjà cette résurrection dans notre vie quotidienne. Cette pandémie met à l’épreuve notre témoignage de chrétien, mais cela nous fait grandir dans la perfection de l’amour, un amour que Jésus a rendu plus fort que la mort. Amen.
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon