[Cantique de la Passion]
Eur c’hantik evid kana ar Basion, pep gwener a C’horaiz
Un cantique traditionnel (18e siècle) pour chanter la Passion du Sauveur chaque vendredi de Carême : « Gouelit va daoulagad » (pleurez, mes yeux).
Gouelit, va daoulagad
Présentation : histoire et sens
La Passion du Christ a été longtemps méditée et contemplée dans l’Occident chrétien, associée à la compassion de Marie sa mère – que les peintures et sculptures appelées « Pietà » représentent tenant sur ses genoux le corps de Jésus descendu de la croix. En Bretagne, les calvaires, de nombreuses croix de carrefours, ou encore les « croix de mission » autrefois érigées pour clôturer solennellement les exercices d’une mission paroissiale, témoignent de cette dévotion des Bretons à la Passion du Christ. De même certaines statues voulant représenter la Sainte-Trinité, dites trônes de grâce, où le Père éternel, représenté en vieillard (livre de Daniel 7,9), tient dans ses deux mains la croix du Christ, surmontée de la colombe de l’Esprit (ainsi à Kerfeuteun, le calvaire près de l’église comporte à son sommet une Trinité, le Père portant la croix de son Fils) ; et celles dite de la compassion du Père comme à Kerfeunteun (chœur de l’église et maîtresse-vitre), Ergué-Gaberic, Bénodet, Ploaré, ou encore Rumengol, Commana et Plounéour-Menez… où le Père tient sur ses genoux ou dans ses bras le Christ descendu de la croix. Mais comme le faisait remarquer Fañch Morvannou, dans son beau livre Kanennoù ar Feiz. Les chants de la Foi (éd. du Layeur, 1998, p. 30), en Bretagne, « les Christs des calvaires, ceux des croix des chemins surtout, ne sont pas tous douloureux et torturés : sur nombre de croix, le visage du Christ mort reflète une paix et une sérénité qui font pressentir la résurrection du matin de Pâques… »
Le cantique Gouelit va daoulagad – en breton vannetais : « Ouilet men daoulagad » (pleurez mes yeux) – a été composé au XVIIIème siècle par l’abbé Louis Pourchasse (1720-1796), natif de Ploeren près de Vannes et « directeur » (aumônier) de la Retraite des femmes de Vannes. Il figure dans son troisième recueil de cantiques paru en 1779 : Canenneu spirituel aveitt pédein, maelein, trugairécatt (Cantiques spirituels pour prier, louer et rendre grâces). Ce cantique fut repris à l’occasion de la mission de Gourin de 1828, en Cornouaille morbihannaise, et de là probablement diffusé dans les diocèses de Quimper et de Saint-Brieuc.
On le retrouve ainsi dans le Kantikou Kemper ha Leon, choazet ha renket dre ghemenn an Aotrou ’n Eskop Sergent, de l’abbé Jean-Guillaume Henry (Quimperlé, 1865, p. 108-110), puis le Kantikou brezonek Eskopti Zan-Briek ha Landreger de 1904 (n°119, p. 151), le Kantigou brezonek Eskopti Sant-Brieg ha Landreger de 1934 (n°121, p. 163-164), le Kantikou brezonek Eskopti Kemper ha Leon de 1946 (n°120, p. 161-162), et encore de nos jours dans le Kantikou Brezoneg a-viskoaz hag a-vremañ / Cantiques Bretons de toujours et d’aujourd’hui (Minihi Levenez, 2002, p. 63). Une partition harmonisée par l’abbé Roger Abjean avait été publiée en juin 1985 dans le recueil « Breiz a gan » n°15 : 20 cantiques bretons en l’honneur de la Vierge, à la page 8. Une autre dans le Musikou Kantikou Brezoneg (Minihi Levenez, 2011, p. 86).
Ce cantique a notamment été interprété par le Chœur d’enfants de la Maîtrise de Bretagne, dans le livre-CD Kanennoù ar Feiz. Les chants de la Foi, de Fañch Morvannou (2000) ; les Kanerion Pleuigner, dans leur album Voix de Bretagne (2005) ; et Anne Auffret dans son album Pedenn (2013). Il a également été repris mais avec de nouvelles paroles par la chorale Allah’s Kanañ, dans son album Frouez nevez (2010).
Le refrain du cantique nous rappelle la mort de Jésus « pour nous » sur le Calvaire, et interpelle le chrétien : « quel cœur n’en serait pas brisé de regret et de chagrin ? » On retrouve ici les mots d’un autre cantique de la Passion paraphrasant le Stabat Mater, « Piou lavaro pebez glac’har ? » (Qui dira quelle douleur ?), de l’abbé Jean-Marie Guillou (1830-1887), recteur de Locmaria puis de Penmarc’h, poète breton et compositeur fécond, au point qu’il fut surnommé Kantiker bras an eskopti (le grand compositeur de cantiques du diocèse). Le couplet 3 du cantique Gouelit va daoulagad invite les chrétiens à éprouver de la contrition au pied de la Croix : « Viens près de la croix, pleure tes péchés ; Souviens-toi qu’ils ont été la cause de sa mort cruelle et de ses souffrances ». Ou encore le couplet 9, à regretter nos péchés : « Pécheur et pécheresse, vous le crucifiez encore ! Votre cœur refroidi est pour lui une croix. »
Le recueil de Vannes comporte quatorze couplets pour ce cantique, tandis que ceux de Quimper et de Saint-Brieuc donnaient respectivement douze et onze couplets (omettant le couplet trois qui rappelait que les Juifs de l’époque n’étaient pas les seuls responsables de la Passion du Christ, mais tous les pécheurs jusqu’à aujourd’hui).
La mélodie change pour la fin du refrain. Si les recueils de Vannes et Saint-Brieuc répètent le tout dernier vers (avec une variante d’interprétation cependant), Vannes se démarque par un ambitus (étendue des notes d‘une voix ou d’un instrument, de la plus grave à la plus aiguë) très étendu, au profit des notes basses : cet ambitus couvre une octave et demie, ce qui est assez inhabituel pour une mélodie populaire. C’est sans doute la raison pour laquelle les variantes de Quimper et de Saint-Brieuc évitent la phrase musicale finale de la mélodie vannetaise (F. Morvannou, op. cit.). On remarque encore que certaines phrases musicales sont très proches de mélodies populaires bien connues (Ti Elysa notamment, chantée par les sœurs Goadec).
Hervé Queinnec
(Une version brève de cet article a été publiée dans Église en Finistère n°333 du 26 mars 2020, p. 24-25 :
« Cantique breton : Histoire et sens du Gouelit va daoulag »)
Paroles | Traduction |
1. Gouelit, va daoulagad, setu maro Jezuz ! Maro Jezuz ’vidomp, pec’herien gwalleürus R. Maro Jezuz ’vidomp war beg menez Kalvar. Pe galon ne ranno gant keuz ha gant glac’har ? 2.Tosta, pec’her, ha deus, sell mat ouz da labour, Pep pec’hed grêt ganit ’zo amañ torfetour. 3. Deus da gichen ar groaz, ha gouel d’az pec’hejou, Soñj mat int bet penn-kaoz da grizder e boaniou. 4. Ma ’z eo ruziet e gorf gant ar gwad o redek, Te a dle e walc’hi gant da zaelou dourek. 5. Evit skuilha daelou, evit touch da galon, N’ac’h eus nemet gwelet poaniou e Basion. 6. N’eus nemet eur gouli eus an treid bete ’r penn ; Kurunet eo gant spern… Na pebez kurunenn ! 7. E gorf ’zo dispennet, e izili brevet, E dreid hag e zaouarn gant tachou hir treuzet. 8. Gant ar c’hrañch hag ar gwad e zremm ’zo dislivet, Ha gant goaf eur zoudard, e gostez digoret. 9. Pec’her ha pec’herez, c’hwi her c’hrusifi c’hoaz : Hag ho kalon sklaset ’zo ’vitañ ’vel eur groaz. 10. Evit ho kervel c’hoaz, e ’benn a zo stouet, E galon ’zo digor, e zivrec’h astennet. 11. Kristenien, emezañ, distroit eta ouzin ; Mar ho peus keuz gwirion, pardoni a fell din. 12. Pardon, o va Doue, ’vit hon holl bec’hejou, Kentoc’h mervel eget nevezi ho poaniou ! | 1. Pleurez, mes yeux, voici que Jésus est mort ! Jésus est mort pour nous, malheureux pécheurs. R. Jésus est mort pour nous sur le sommet du Calvaire. Quel cœur n’en serait pas brisé de regret et de chagrin ? 2. Approche, pécheur, viens et vois ton œuvre, Chaque péché que tu commets est criminel. 3. Viens près de la croix, pleure tes péchés, Souviens-toi qu’ils ont été la cause de sa mort cruelle et de ses souffrances. 4. Si son corps est rougi du sang qui coule à flots, Tu dois les laver avec les larmes de tes yeux. 5. Pour verser des pleurs, pour toucher ton cœur, Vois seulement les souffrances de sa Passion. 6. Il n’est plus qu’une plaie des pieds à la tête ; Il est couronné d’épines… Quelle couronne ! 7. Son corps est brisé, ses membres disloqués, Ses pieds et ses mains traversés par de longs clous. 8. Par les crachats et le sang, son visage est méconnaissable, Et par la lance d’un soldat, son côté est ouvert. 9. Pécheur et pécheresse, vous le crucifiez encore ! Votre cœur refroidi est pour lui une croix. 10. Pour vous appeler encore, sa tête est inclinée, Son cœur est ouvert, ses bras étendus. 11. Chrétiens, dit-il, retournez donc à moi ; Si vous avez vrai regret, je pourrais vous pardonner. 12. Pardon, o mon Dieu, pardon, pour tous nos péchés, Plutôt mourir que de renouveler nos péchés ! |
Partitions en ligne
sur le site du diocèse – gouelit-va-daoulagad
à deux voix égales, dans « Breiz a gan » n°15 : 20 cantiques bretons en l’honneur de la Vierge, recueillis par Roger Abjean, de Morlaix, harmonisés et publiés par lui en juin 1985
pour bombardes sur : http://www.kan-iliz.com/semaine-sainte-ouelet-men-daoulagad-gwenedeg/
Adaptation
Le cantique Gouelit ma daoulagad a été repris en 2010 par la chorale Allah’s Kanañ (album Frouez nevez), sur de nouvelles paroles (couplets 2-5) de Corentin Sanson.
Celui-ci expliquait : « Ma ne vez ket kanet alies an ton kaer ha frommus-mañ eo kredabl ablamour d’ar c’homzou koz, skrijus, ha ne lavarent ket kalz a dra, ’benn ar fin, diwar-benn ar Basion (estreget ar poz kenta). En eur vond beteg an Adsao er poz diweza, eo fellet deom rei da gompren ar garantez a lak Jezuz da rei e vuez evidom oll. » (« Cette superbe mélodie, pleine d’émotion, n’est que très rarement chantée aujourd’hui, peut-être à causes des anciennes paroles sur la mort de Jésus, assez violentes, qui ne rendent pas compte du caractère salvifique de la Passion. En intégrant la Résurrection, dans le dernier couplet, nous avons voulu manifester que c’est par amour que Jésus donne sa vie pour nous. »)
Paroles | Traduction |
1. Gouelit ma daoulagad, setu maro Jezuz. Maro eo ’vidom oll, peherien disentuz. Maro Jezuz ’vidom war veg menez Kalvar. Pe kalon na ranno gand keuz ha gand glahar ? 2. Or mestr n’asantas ket kasaad na mallozi, D’e zrouglazerien griz e karas pardoni. Maro Jezuz ’vidom ’n eur garantez dispar, E galon a ranne gand doan ha gand glahar. 3. ’Vid skoulma an Emgleo nevez ha peurbadel, Jezuz ar Mab maro a ranke adsevel. Maro Jezuz ’vidom d’on tenna euz arvar, Arvar ar beherien gwasket gand ar glahar. 4. ’Vid or zilvidigez eo lakêt da netra, Hag en e garantez e kas da benn pep tra. Maro Jezuz ’vidom ; dija eur sked a barr War divrec’h astennet ar Mab war ar C’halvar. 5. Gouelit ma daoulagad, gouelit gand trugarez. Fellet eo bet d’e Dad e zevel euz ar bez. Beo Jezuz ’vidom, adsavet en e c’hloar. Asamblez ra drido an neñv hag an douar ! | 1. Pleurez, mes yeux, voici que Jésus est mort. Mort pour nous tous, pécheurs désobéissants. Jésus est mort pour nous sur le sommet du Calvaire. Quel cœur n’en serait pas brisé de regret et de chagrin ? 2. Notre maître n’accepta pas de haïr ni de maudire, A ses bourreaux il voulut pardonner. Jésus est mort pour nous dans un amour immense, Son cœur était brisé de peine et de chagrin. 3. Pour sceller l’Alliance nouvelle et éternelle, Jésus, le Fils mort, devait se relever. Jésus est mort pour nous pour nous tirer de la détresse, Détresse des pécheurs saisis de chagrin. 4. Pour notre salut, il est anéanti, Et dans son amour il accomplit tout. Jésus est mort pour nous ; mais déjà un éclat luit Sur les bras étendus du Fils au Calvaire. 5. Pleurez mes yeux, pleurez de gratitude. Il a plu au Père de le relever du tombeau. Pour nous, Jésus est vivant, ressuscité dans sa gloire. Que tressaillent ensemble les cieux et la terre ! |
Cantique d’origine en Breton vannetais : « Ouélet, men daoulagad »
Paroles | Traduction |
1. Ouélet, men daoulagad, ouélet, marù é Jézuz : Marù é Jézuz ‘eidomp, péherion maleurus ! D/ Marù é Jézuz ‘eidomp ar er mané Kalvar, Pé kalon ne darho get chif ha get glahar, Get chif ha get glahar. 2. Tostait, péherion, dait ha gwélet ho labour : Pep péhed ho eus groaet ‘zo bet é dorfétour. 3. A ! n’um geméret ket doh er Juifed elsé ; Sekoured ho es ind, reit ho es dorn dehé! 4. ‘Em daolet doh é dreid, ouélet ho péhedeù : Chonjet é mant bet kaoz d’é varù ha d’é boénieù. 5. Mar dint ruet get gwæd e zivir a boullad, Hwi ‘zeli o gohlein get dar ho taoulagad. 6. ‘Eit tennein ho tareù, ténérat ho kalon, Ne hoes nameit sellet doh poénieù é Basion. 7. Nen dé ‘meit ur gouli ag en treid bet’er penn ; Kouronet é a spern plantet bet’ er vélenn. 8. É gorf e zo drailhet, diflosket é vambreù, É dreid hag é zaouorn trézet get en tacheù. 9. Get er skop hag er gwæd, é fas ‘zo disliùet, Ha get lañs ur soudard é gosté digoret. 10. Hwi er hrusifi hoah, péhour, ha péhouréz ! Ho kalon dinatur e zo ‘eitoñ ur groéz . 11. ‘Eit ho kalvein neoah, é benn e zo soublet, É galon ‘zo digor, é zivréh astennet. 12. Kristenion, émé éañ, distroait enta dohein : Mar hoes ké d’ho péhed, prest on d’ho pardonein. 13. Ni er groay, o Jézuz, chifet é hor halon, Get ankén ha glahar é houlennamp pardon. 14. Pardon, men Doué, pardon : ne vennamp mui péhein ; Kentoh merùel mil gwéh aveit hos ofañsein ! | 1. Pleurez, mes yeux, pleurez, Jésus est mort : Jésus est mort pour nous, pécheurs malheureux ! R/ Jésus est mort pour nous sur le mont du Calvaire, Quel cœur n’éclatera de chagrin et de de douleur, De chagrin et de douleur. 2. Approchez, pécheurs, et voyez votre œuvre : Chaque péché que vous avez commis a été son bourreau. 3. Ah ! Ne vous en prenez pas aux Juifs de la sorte, Vous les avez aidés, vous leur avez prêté main forte ! 4. Jetez-vous à ses pieds, pleurez vos péchés : Songez qu’ils ont été cause de sa mort et de ses douleurs. 5. S’ils sont rougis du sang qui coule à flots, Vous devez les laver avec les larmes de vos yeux. 6. Pour faire venir vos larmes, attendrir votre cœur, Vous n’avez qu’à regarder les douleurs de sa Passion. 7. Il n’est plus qu’une plaie des pieds à la tête ; Il est couronné d’épines qui sont plantées jusqu’à son cerveau. 8. Son corps est brisé, ses membres disloqués, Ses pieds et ses mains traversés par des clous. 9. Par les crachats et le sang, son visage est méconnaissable, Et par la lance d’un soldat son côté est ouvert. 10. Vous le crucifiez encore, pécheur et pécheresse ! Votre cœur endurci est pour lui une croix. 11. Pour vous appeler toutefois, sa tête est inclinée, Son cœur est ouvert, ses bras étendus. 12. Chrétiens, dit-il, retournez donc à moi : Si vous avez le regret de vos péchés, je suis prêt à vous pardonner. 13. Nous le ferons, Jésus, notre cœur est meurtri, Avec inquiétude et chagrin, nous demandons pardon. 14. Pardon, mon Dieu, pardon, nous ne voulons plus pécher ; Plutôt mourir mille fois que de vous offenser ! |